Mondial de foot | L’équipementier des bleus aurait dû prévoir la 2ème étoile !

16 novembre 2018

Le sujet prévisions et planification est au cœur des préoccupations des industriels. Ils ne cessent d’innover pour améliorer toutes les étapes de la chaîne de vente, et la place de la donnée y est croissante. Pourtant, l’équipementier de l’équipe de France est passé, cet été, à côté d’une belle occasion de maximiser ses gains lors de la coupe du monde de football. Certes, les bleus ont été sacrés champions, mais leurs fans auront attendu bien trop longtemps le nouveau maillot officiel… Des pertes pour la marque leader qui aurait du prévoir sa production. La data science au service de la supply chain, qui permet d’optimiser la planification et la gestion industrielle, lui aurait en effet permis de savourer une belle victoire.

Le 15 juillet dernier, la France est sacrée championne du Monde de football pour la deuxième fois ! Jean-Kevin, fan depuis toujours, descend sur les Champs-Elysées, ivre de joie et de fierté en célébrant ses bleus. Il scande le fameux « Liberté, Egalité, Mbappé » devant l’Arc de Triomphe… Sous l’émotion, il est alors prêt à débourser une fortune pour se procurer le nouveau maillot aux 2 étoiles et l’arborer fièrement sur les plages cet été. Mais le lendemain, énorme frustration : le flagship store de l’équipementier officiel n’a que des maillots avec une seule étoile. Ils sont tous ringardisés depuis la remise de la coupe la veille. Les vendeurs bafouillent qu’ils ne savent pas quand arrivera le fameux nouveau maillot officiel. Sur tous les sites de e-commerce, même chose : rien. Des opportunistes fabriquent de pâles copies mais sans valeur aucune aux yeux de Jean-Kevin… Comment un tel accident industriel a pu se produire ? La data science aurait pu éviter cette cruelle déception pour Jean-Kevin et l’énorme manque à gagner pour l’équipementier.

PERTES VS RISQUES

La valeur perdue par la marque leader est en effet énorme. Le maillot dont rêve Jean-Kevin est de la marge pure : il est prêt à l’acheter plus de 150 euros, alors que le coût de revient – fabrication et logistique – ne doit guère dépasser les 5 euros. Près de 150 € de marge perdue que la célèbre marque aura du mal à retrouver dans le futur. Car Jean-Kevin sera sans doute plus raisonnable, à froid, cet hiver. De plus, l’équipementier a raté une belle occasion de voir sa marque exposée sur de multiples poitrines françaises pendant tout le mois d’août, des plages de la côte d’Azur aux contrées exotiques envahies par les touristes hexagonaux. Sans compter que la marque enregistre des commentaires sarcastiques sur les réseaux sociaux, pas du tout en ligne avec son image de « championne ». Et comment valoriser le plaisir de Jean-Kevin narguant son beau-frère italien au cours d’une réunion de famille estivale ?

Les supply chain managers des grands groupes sont souvent « risk adverse ». Ceux de l’équipementier ont estimé à juste titre qu’il y avait une glorieuse incertitude du sport et que la France n’était pas sûre de gagner. Difficile pour eux dans ce contexte de s’imaginer devoir justifier à leur hiérarchie la destruction de stocks de maillots à 2 étoiles en cas de non-victoire des bleus. Cela signifiait également réserver de la capacité usine chez les sous-traitants, au Bangladesh ou ailleurs, et lancer les productions plusieurs mois en avance… Tout reposait donc sur la probabilité que l’équipe de France remporte le trophée, or une analyse data science aurait pu aider.

DATA ET PRÉVISIONS

L’histoire apparaît déjà riche d’enseignements : seules les « grandes nations » accèdent au graal. Les outsiders, comme la Croatie, le Portugal ou les Pays-Bas ne concluent jamais. Le pays organisateur, la Russie, était faible. Il ne restait donc que 6 pays : Brésil, Argentine, Allemagne, Espagne, Angleterre et France, l’Italie n’ayant pas réussi à se qualifier. Une chance sur 6 donc pour commencer. D’autres données pouvaient venir compléter ce pronostic : la valeur marchande des joueurs – l’Hexagone est n°1 -, l’âge moyen de l’équipe – la France était la plus jeune -, les bookmakers anglais – qui plaçaient les tricolores 3ème -, les derniers matchs amicaux, la présence des joueurs français dans les meilleurs clubs, sans oublier l’analyse des réseaux sociaux…

En croisant toutes ces data, les bleus avaient en réalité sans doute autour d’une chance sur 4 de gagner la coupe du Monde. Les supply chain managers auraient alors dû mettre en regard le risque de perdre 5 euros vs l’opportunité d’en gagner 100, pondéré à 25 euros (100€ /4) ! Le même raisonnement aurait d’ailleurs pu être appliqué au Brésil, également équipé par la marque, permettant d’augmenter encore les chances de gains ! Il s’agit ici d’appliquer la même logique que les fonds d’investissement qui misent sur 10 start-up en espérant qu’une seule devienne une licorne pour absorber les pertes des 9 autres.

DYNAMIC PRICING

Un autre élément majeur, afin de maximiser les revenus, et pour lequel la data science peut être largement employée : le dynamic pricing, utilisé pour ajuster les prix aux variations de demande. En effet, ce fameux maillot n’a pas du tout la même valeur le 16 juillet (200€ ?) que l’hiver suivant (80€ ?). Plusieurs éléments sont à prendre en compte : l’historique des évènements précédents, les stocks prévisionnels, les capacités de fabrication, les ventes du (des) premier(s) jour(s), l’accueil sur les réseaux sociaux, les influencers équipés, etc. Grâce aux algorithmes de machine learning, le traitement massif de data permet désormais de définir le prix optimum en fonction de tous ces paramètres.

La data science peut également contribuer à optimiser la distribution de ces maillots en or. Choisir au mieux les endroits où les distribuer afin de maximiser les chances de vente et ainsi accélérer la rotation et améliorer l’exposition… Le temps est en effet compté : il y a une fenêtre d’environ deux semaines, entre la finale et le départ en vacances vers le 31 juillet. De même, pour optimiser le niveau de stockage sur l’ensemble des entrepôts intermédiaires. Car il serait regrettable d’avoir des stocks dormants à un endroit et des rayons vides de l’autre. La pratique du dynamic pricing se répand aujourd’hui avec l’accès à des bases de données gigantesques, stockables à des coûts réduits, permettant de prédire et d’anticiper au mieux les variations de demande.

GÉNÉRER DE LA VALEUR AJOUTÉE

Cet exemple montre que les traditionnels logiciels de supply chain management ERP (Enterprise Resources Planning) ou APS (Advanced Planning Scheduler) ne sont en réalité capables de fournir qu’une partie de la data nécessaire pour prendre les bonnes décisions. Le système d’information classique à disposition des responsables de la chaîne logistique n’est donc plus suffisant pour optimiser la planification et la gestion industrielle. La supply chain doit désormais partager avec les autres fonctions de l’entreprise et rassembler toutes les datas afin d’obtenir le meilleur des modèles.

Grâce aux algorithmes développés, issus de la data science, il est aujourd’hui possible de traiter et renforcer diverses données, internes et externes, croisées à d’autres. En tirant partie de ces données, la marque leader aurait ainsi pu générer de la valeur ajoutée et satisfaire un fan comme Jean-Kevin. Avec des moyens efficaces et peu coûteux, toutes ces data peuvent être traitées et valorisées. L’utilisation de ces données permet d’obtenir des résultats concrets et opérationnels. Il serait donc dommage de ne pas profiter des décisions parfaitement rationnelles que permet de prendre la data science… et la France est bien championne du Monde !

Matthieu Lebeurre
MATTHIEU LEBEURRE
ASSOCIATE PARTNER

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