Pourquoi, Diantre ! Mettre de la pâtisserie dans une banque ?

02 janvier 2020

A l’heure où nous sortons d’une période de fêtes, après avoir dégusté mets gouteux et délices sucrés, poursuivons l’expérience festive et restons dans cette période lumineuse …

En 2020, commerces, banques et entités, ayant (au moins) un pied dans le monde physique, continuent de se réinventer. Pour s’inspirer, partons à l’étranger et plus précisément en Italie où comme je l’évoquais dans un précédent billet d’humeur, la banque Intesa Sanpaolo, grande banque italienne, a ouvert une pâtisserie dans l’une de ses agences à Milan avec à sa tête un chef pâtissier de renom, Iginio Massari.

 

DE LA « MISE AU TRAVAIL » DU CLIENT EN 2000 À LA DÉGUSTATION DE PÂTISSERIES

Près de 20 ans après l’avènement d’Internet, une telle décision qui vise à faire venir le client dans les agences peut paraître étonnante. Depuis l’arrivée du digital, la consigne n’est-elle donc pas « de mettre le client au travail » ?

En effet, le client était invité à ne plus se déplacer en agence pour ses virements bancaires et à les faire tranquillement de chez lui, l’objectif étant alors de décharger les guichetiers des opérations élémentaires et de transférer la charge vers un client qui s’est mis progressivement « au travail ». En allégeant les tâches du personnel au contact, les banques pouvaient aussi alléger leurs coûts. Alors pourquoi près de 20 ans après, l’une des premières banques italiennes met-elle un pâtissier en agence ? Certes, on le sait, il s’agit de faire revenir les clients en agence et de leur faire vivre une expérience agréable, la rencontre humaine s’avérant être un élément clefs dans le dispositif omni-canal. Mais quelles sont les raisons évoquées par la banque Intesa Sanpaolo pour justifier cette « patisserisation » des agences bancaires ?

 

METTRE DE LA PÂTISSERIE EN AGENCE, OUI MAIS POURQUOI ?

Rendre plus agréable la visite des clients, créer des liens plus étroits et plus riches avec les clients, mais également, chose plus inédite, entre ses clients eux-mêmes. Telles sont les raisons avancées par la banque. Comment ? En instaurant une atmosphère singulière, un lieu physique qui serait une véritable invitation à l’échange et aux interactions sociales. Le souvenir de l’expérience vécue « ensemble » autour d’un agréable délice sucré ne peut en être que transformé exacerbant dès lors l’envie d’en parler dans sa sphère physique ou digitale.

La banque Intesa Sanpaolo cherche aussi à sortir d’une posture purement financière dans la relation avec ses clients, à prendre de la hauteur, à changer de positionnement. Différentes succursales de la banque ont d’ailleurs accueilli des défilés de mode et des spectacles musicaux. Et puisqu’Intesa Sanpaolo expose aussi des œuvres d’art en Italie, participant ainsi à la richesse culturelle de la société, les pâtisseries de ce chef qu’est Massari à Milan ne participent-elles pas elles aussi à l’expression d’une certaine forme d’art ? Enfin si pâtisseries et sucreries suscitent joie et bonheur, le positionnement de Intesa Sanpaolo n’est-il pas aussi de susciter de telles émotions et de permettre la réalisation des rêves du client grâce à ses prêts et offres bancaires ?

 

PEUT-ON ENCORE FAIRE VENIR LE CLIENT DANS LES COMMERCES OU LES AGENCES PHYSIQUES ?

D’une époque où l’objectif était de ne pas faire venir les clients en agence à aujourd’hui où il semble que cela soit l’inverse, cela peut paraitre un peu étonnant… Peut-on encore faire venir le client dans les commerces ou les agences physiques ? Peut-on encore lui demander de faire l’effort de se déplacer alors même que le monde marchand est à portée de clics ?

Tournons-nous vers les sociologues et chercheurs qui nous donneront leur éclairage pour répondre à cette question.

Un sociologue du nom de Stone fut l’un des premiers à s’intéresser à la manière dont le processus d’identification sociale pouvait avoir lieu dans un milieu devenu impersonnel et anonyme en raison de son urbanisation croissante. Dans un article intitulé « City shopper and urban Identification » et publié dans l’American Journal of Psychology en 1954, il met en lumière le rôle clef du commerce dans ce processus et la manière dont le commerce permet aux individus de se distinguer en tant que personnes, notamment grâce aux relations existantes avec le personnel de vente. Près de 20 ans plus tard, un autre chercheur, Tauber (1972[1]) se pose une question qui peut paraître à première vue tautologique : pourquoi les individus vont-ils dans les commerces ? Au-delà de la réponse évidente, « pour acheter des produits et services », (qui si elle était l’unique réponse aurait signer la fin du commerce physique depuis longtemps !), ses travaux montrent que se déplacer en points de vente peut être motivé par d’autres motivations que le simple achat d’un produit ou d’un service, motivations qu’il a classées en deux grandes catégories, les motivations personnelles et sociales.

En premier lieu, en ce qui concerne les motivations personnelles, sa recherche montre qu’aller dans les magasins peut constituer une activité de détente et de loisirs à part entière et qu’elle permet de se tenir informé. C’est une source de stimulation hédonique, sensorielle, émotionnelle, cognitive (se tenir au courant) voir même physique. La volonté de réaliser au mieux son « rôle » constitue également une motivation personnelle à se rendre en points de vente. Les motivations sociales, quant à elles, traduisent la recherche d’expériences sociales et de contacts sociaux à l’extérieur de chez soi. Le client peut ainsi vouloir rencontrer d’autres personnes, échanger avec elles sur des sujets d’intérêts communs, montrer son appartenance à un groupe social en fréquentant certaines enseignes, discuter, échanger, négocier avec les vendeurs …

 

DES MOTIVATIONS TOUJOURS D’ACTUALITÉ À L’ÈRE DIGITALE ET POST-DIGITALE ?

Mais ces motivations sont-elles toujours d’actualité en 2020 plus de 20 ans après l’arrivée d’Internet ? Oui, plus que jamais ! D’une part, ces besoins d’interactions sociales et de reconnaissance sociale, de détente, de stimulation sensorielle, hédonique font partie inhérente de l’être humain. D’autre part, même si de tels besoins peuvent bien sûr être satisfaits par d’autres activités (le sport par exemple), le commerce continue d’y jouer un rôle important. Les entretiens clientèle le révèlent et il suffit pour s’en convaincre de regarder toutes les entreprises nées dans le digital qui partent à la rencontre de leurs clients via l’implantation de points de vente ou de magasins éphémères.

Non seulement ces besoins existent, mais ils sont même exacerbés par un digital qui isole, écran contre écran. Affaire à suivre donc …

Je vous souhaite une délicieuse année 2020 remplie de jolis projets et de belles rencontres !


[1] Tauber E.M (1972), Why do People Shop, Journal of Marketing, volume 36, october

 

 

 

 

 

régine vanheems
RÉGINE VANHEEMS
AUTEURE

 

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