Interview // Fabrice Bonnifet, Directeur développement durable et qualité, sécurité, environnement, Groupe Bouygues

17 mars 2021

L’ACCUMULATION DES CRISES

La crise du Covid constitue un choc pour l’ensemble de la planète. Elle a moins impacté le groupe Bouygues que d’autres secteurs d’activité comme le tourisme, la culture ou l’aéronautique. En effet, les chantiers de construction ont repris leur cours après le confinement et le secteur des télécoms continue de bien fonctionner.

Cette crise soulève deux réflexions. D’une part, il est impressionnant d’observer à quel point nous sommes vulnérables et très peu résilients face à un virus qui a considérablement ralenti l’économie mondiale. D’autre part, les énormes moyens financiers qui ont été mis en œuvre pour lutter contre les effets négatifs sur l’économie de la pandémie sont dérisoires à côté de ce qu’il serait nécessaire pour éviter la crise climatique déjà présente. On peut donc être très inquiet sur notre capacité future à faire face à ce qui nous attend.

L’IMPORTANCE DE LA SCIENCE

Il est essentiel de tenir compte de la connaissance scientifique dans le domaine du climat. Nous émettons beaucoup trop de gaz à effet de serre par rapport à la capacité de séquestration naturelle de la terre, le réchauffement est la principale conséquence. Les scientifiques ont modélisé que nous sommes sur une trajectoire de hausse des tempéra- tures de 5° d’ici à 2100. Cela rendra invivable les trois quarts des terres émergées.

Nous devons diviser impérativement nos émissions de gaz carbonique par deux d’ici à 2030 et par trois d’ici à 2050. Cela implique un changement radical du modèle économique des entreprises et du comportement des citoyens. Nous devons en particulier gérer le changement dans deux domaines : modifier la manière dont les entreprises produisent de la valeur ; modifier les modes de consommation des citoyens.

Pour éviter de considérer ces évolutions comme punitives, il convient de réinventer le narratif du « vivre ensemble » avec 6 fois d’émissions de CO2! Cet impératif n’est pas seulement un objectif environnemental, c’est aussi une obligation qui va s’imposer à nous du fait de la déplétion des énergies fossiles. Il est possible de concilier confort matériel et sobriété mais cela requiert de tout changer, notamment dans les processus de création de valeur des entreprises. C’est ce qu’explique le concept de l’entreprise contributive.

Les entreprises doivent aligner leur stratégie business sur une trajectoire d’augmentation de la température de 1,5°, soit l’Accord de Paris. Ignorer cette injonction conduira les parties prenantes à se détourner des entreprises qui choisiront de demeurer prédatrices du vivant. Tôt ou tard les investisseurs les sanctionneront. La future taxonomie européenne distinguera les entreprises et les secteurs compatibles avec les enjeux de longs termes. Espérons que le système financier flèche enfin les capitaux vers des secteurs vertueux.

LA CONTRIBUTION DES ENTREPRISES A LA TRANSITION ENERGETIQUE

Premièrement, les entreprises doivent s’interroger sur le processus de création de valeur et passer d’un modèle linéaire, c’est-à-dire d’un modèle de prédation des ressources à un modèle circulaire, c’est-à-dire à un modèle reposant sur la commercialisation des usages afin de diminuer la pression sur les ressources requises pour fabriquer les produits qui demeureront la propriété des entreprises. L’objectif n’est plus de tout posséder mais d’utiliser les biens en fonction de nos véritables besoins. L’exemple de l’automobile est particulièrement illustratif puisque nous savons qu’un véhicule est à l’arrêt en moyenne 95% du temps, dans bien des cas il serait possible de le partager plus et mieux.

Deuxièmement, les entreprises doivent changer leur système comptable et renoncer au modèle basé sur l’unique préservation du capital financier. Elles doivent également prendre en compte le capital naturel et le capital humain. Tant qu’il n’y aura pas une comptabilité du capital naturel, nous continuerons d’épuiser les ressources de la terre car ces dernières n’entrent pas au passif du bilan.

Troisièmement, les entreprises doivent changer leur système de management pour un modèle davantage centré sur la confiance. L’aversion aux risques, la culture du contrôle et l’infantilisation des processus de reporting a conduit au désengagement des collaborateurs. Les entreprises doivent libérer l’énergie créatrice de leurs salariés en leur laissant le comment agir à leur guise dans le respect des intérêts du client et de la planète.

Quatrièmement, les entreprises doivent refonder leur raison d’être en considérant la dimension environnementale et sociétale. Les collaborateurs ont besoin d’être utiles et de contribuer à la construction d’un projet collectif.

UN CHANGEMENT DE PARADIGME

Le choc climatique est désormais perceptible partout dans le monde bien au-delà des incendies spectaculaires en Californie ou en Australie. Mais le choc systémique susceptible de provoquer une réaction collective n’est pas encore intervenu. Sans doute hélas faudra-t-il une énorme catastrophe comme, par exemple, une gigantesque canicule pendant plusieurs mois, avec des centaines de milliers de morts, pour enfin accepter l’adoption de nouveaux comportements de consommation plus responsables.

L’Homme évolue le plus souvent en réaction aux crises car il ne sait pas anticiper. Il existe trois manières de changer les humains : en leur faisant peur, ce qui est le plus souvent inutile si la peur n’est pas immédiate ; en les punissant avec un couvre-feu, des taxes, des quotas de carbone…, cela fonctionne à court terme mais n’est guère tenable dans la durée ; et enfin, en définissant un narratif positif basé sur l’émotion pour tendre vers une vision désirable et crédible du futur.

Le côté positif est qu’il existe de nombreuses solutions alter- natives pour bâtir des modèles d’affaire bas carbone, dans le textile, l’agriculture, la construction… En outre, dans le « monde d’après », le pic des énergies fossiles sera plus intensif en main d’œuvre que le monde d’avant, même si les activités seront sans doute moins rémunérées.

L’INTERVIEWÉ

FABRICE BONNIFET
DIRECTEUR DÉVELOPPEMENT DURABLE ET QUALITÉ, SÉCURITÉ, ENVIRONNEMENT, GROUPE BOUYGUES, PRÉSIDENT DU COLLÈGE DES DIRECTEURS DU DÉVELOPPEMENT DURABLE (C3D)

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