La transformation des ports
Un article de Damien FERRARO, partner, TNP, et Simon LE BRIS, directeur, TNP, paru dans le livre blanc « La révolution des mobilités ».
Face aux défis économiques, écologiques et géopolitiques, les ports doivent s’adapter pour rester compétitifs et durables. Le transport maritime représente, en tonnage, 90 % du commerce mondial et 2,5 % des émissions de CO2, un chiffre qui pourrait tripler d’ici 2050 sans action concrète. La congestion des grands hubs coûte chaque année plus de 10 milliards de dollars à l’économie mondiale, tandis que les cyberattaques sur les infrastructures portuaires ont augmenté de 400 % depuis 2020. Dans ce contexte, l’optimisation de l’intermodalité, l’électrification des quais et le développement de carburants alternatifs comme l’hydrogène vert ou l’ammoniac deviennent des priorités. Par ailleurs, l’intégration de l’intelligence artificielle et de l’Internet des Objets (IoT) permet d’améliorer la fluidité des échanges et de limiter les inefficacités logistiques. Face à ces transformations, ports et acteurs du transport maritime doivent repenser leurs infrastructures et leurs stratégies pour répondre aux enjeux de demain.
L’intermodalité pour optimiser les connexions entre les modes de transport
L’intermodalité est devenue un pilier central de la transformation portuaire. L’Union européenne vise à transférer 30 % du fret routier de plus de 300 km vers le rail, le fleuve ou le cabotage maritime d’ici 2030, un objectif nécessitant des investissements massifs. Plusieurs grands ports, comme Hambourg et Rotterdam, développent ainsi des terminaux ferroviaires connectés et des systèmes automatisés pour fluidifier les flux. Au-delà du rail, les voies navigables intérieures offrent une alternative prometteuse. À Lisbonne, le fleuve Tage devient un corridor logistique avec l’expérimentation de barges autonomes à zéro émission. Cette transition repose aussi sur le numérique : les Port Community Systems (PCS) et l’IoT optimisent la gestion des flux en temps réel, réduisant congestion et inefficacités. En intégrant ces innovations, les ports renforcent leur rôle stratégique tout en accélérant la transition vers une logistique plus durable et performante.
L’intégration des sources d’énergies durables dans les ports
Dans le cadre de la décarbonation du transport maritime, les ports jouent un rôle crucial en intégrant de nouvelles sources d’énergie propres et en cherchant un équilibre entre la réglementation et le choix de leurs clients.
Pour réduire leur empreinte carbone, les ports accélèrent leur transition énergétique en intégrant des alternatives aux carburants fossiles. Si le GNL reste une solution transitoire, déjà adoptée par des ports comme Marseille-Fos, Dunkerque, Rotterdam et Vancouver, il ne permet pas une décarbonation complète. C’est pourquoi de nouvelles technologies émergent, notamment l’hydrogène vert et l’ammoniac, qui nécessitent toutefois des infrastructures adaptées, à l’image du port d’Anvers-Bruges, qui prévoit une station d’hydrogène d’ici 2025.
En parallèle, l’électrification des quais permet aux navires de couper leurs moteurs à quai, réduisant ainsi leurs émissions. Des ports comme Los Angeles ou Marseille pour les paquebots et Dunkerque pour les porte-conteneurs, ont déjà adopté, partiellement, cette solution, soutenue par des politiques publiques et des incitations économiques. Enfin, la transition énergétique passe aussi par l’essor des énergies renouvelables, avec des ports de la mer du Nord comme Bremerhaven et Esbjerg qui se spécialisent dans le développement des parcs éoliens offshore.
L’adaptation du maritime à la reconfiguration des chaînes d’approvisionnement mondiales
Les crises sanitaires, géopolitiques et économiques ont obligé les ports à repenser leurs stratégies pour s’adapter aux nouvelles dynamiques du commerce international. La montée des tensions commerciales et la relocalisation partielle de certaines industries redessinent les flux maritimes, renforçant le nearshoring, le friendshoring et le reshoring. Cette redistribution modifie le rôle de certains ports, tandis que la congestion des grands hubs accélère le développement de routes alternatives et l’investissement dans des ports secondaires.
Dans ce contexte, la digitalisation et l’intelligence artificielle jouent un rôle clé pour optimiser les itinéraires, réduire les délais et améliorer la visibilité des flux. Des ports comme Singapour innovent avec des projets d’envergure tels que Tuas Mega Port, un site ultramoderne centralisant l’ensemble des opérations portuaires pour plus d’efficacité et de flexibilité. Par ailleurs, la connectivité avec l’hinterland devient essentielle, poussant à des investissements dans les infrastructures ferroviaires, routières et fluviales.
Les enjeux des ports dans les flux de marchandises internationaux
Plaques tournantes du commerce mondial, les ports doivent renforcer leur sécurité physique et numérique face aux risques croissants de piraterie, de terrorisme et de cyberattaques. La digitalisation et l’automatisation des terminaux exposent ces infrastructures à des intrusions critiques, menaçant la continuité des opérations. Pour y faire face, des protocoles de cybersécurité avancés sont déployés, incluant la surveillance en temps réel, l’authentification renforcée et l’usage de la blockchain.
Sur le terrain, la protection des sites repose sur des systèmes de contrôle d’accès, des patrouilles automatisées et une coordination accrue avec les autorités. Enfin, la formation des personnels portuaires est essentielle pour gérer ces nouvelles menaces et garantir la résilience des infrastructures stratégiques.
Les nouvelles technologies au service de la transformation du maritime et de sa décarbonation
L’innovation technologique redéfinit le transport maritime et les infrastructures portuaires, offrant des solutions pour améliorer l’efficacité, la sécurité et la durabilité du secteur. L’intelligence artificielle et l’IoT optimisent la gestion des flux, réduisant la congestion et les émissions. Le track & trace permet un suivi en temps réel des marchandises, limitant les retards et optimisant les itinéraires.
L’automatisation prend également de l’ampleur avec des navires autonomes zéro émission, à l’image du Yara Birkeland en Norvège, et des systèmes de propulsion éolienne comme les rotors Flettner, réduisant la consommation de carburant de 7 à 20 %. Enfin, des ports comme Rotterdam exploitent les jumeaux numériques et l’IA prédictive pour optimiser l’organisation des escales et la gestion des marées, améliorant ainsi l’efficacité logistique.
Face aux défis économiques, écologiques et géopolitiques, les ports s’adaptent pour rester compétitifs et durables. Grâce notamment au rôle central des nouvelles technologies qui permettent au transport maritime de renforcer son efficacité, sa sécurité et sa résilience face aux crises. L’IA, l’IoT et les systèmes de propulsion alternatifs permettent d’optimiser les flux et de réduire les émissions, ouvrant la voie à un secteur plus performant et moins polluant. Cependant, ces avancées reposent sur des infrastructures coûteuses et une forte consommation énergétique, soulevant la question de leur réelle viabilité écologique.
Si la technologie est un levier clé pour la transition maritime, elle ne garantit pas à elle seule un modèle durable. Une approche globale combinant innovation, régulation adaptée, protection contre les cyberattaques et rationalisation des f lux est nécessaire pour éviter de nouvelles dépendances et assurer un transport maritime à la fois résilient, économiquement performant et soutenable sur le long terme.