Le nouveau modèle des régions et des opérateurs
Un article de Guy LETURCQ, directeur général, TNP, et Pierre LIGER, partner, TNP, paru dans le livre blanc « La révolution des mobilités ».
L’ouverture à la concurrence des transports : enjeux et perspectives
La fin des monopoles historiques, notamment celui de la SNCF pour les TER, marque une étape cruciale dans la réorganisation du transport ferroviaire en France. Cette libéralisation permet l’entrée de nouveaux opérateurs privés, diversifiant ainsi l’offre et améliorant les services en termes de fréquence, de ponctualité, de confort et de tarifs. Les régions, aujourd’hui responsables de l’organisation des services ferroviaires et d’une partie de la mobilité intermodale, adaptent leurs réseaux aux besoins locaux. Cette évolution favorise une meilleure intégration entre les trains, les cars et les autres modes de transport. Plusieurs transformations profondes de la mobilité sont d’ores et déjà à l’œuvre. D’abord, une dynamique d’innovation, portée par de nouvelles offres tarifaires, l’essor d’outils numériques toujours plus performants et le perfectionnement des services à la demande.
Ensuite, l’affirmation de contrats de performance fixant aux opérateurs des exigences précises en matière de qualité de service. Parallèlement, se multiplient les plateformes unifiant trains, bus, vélos, covoiturage et transports à la demande, offrant aux voyageurs des abonnements simplifiés. Enfin, émergent des pass de mobilité régionaux, inspirés des modèles allemand et suisse, promesses d’une accessibilité repensée.
Un rééquilibrage entre transport ferroviaire et transport routier
L’ouverture du marché ferroviaire à de nouveaux opérateurs pourrait insuffler un second souffle aux lignes locales délaissées, rétablissant ainsi un maillage territorial plus dense et répondant à une demande croissante pour des alternatives durables à la voiture individuelle. La réactivation de ces liaisons de proximité favoriserait non seulement un désenclavement des territoires ruraux, mais renforcerait également l’attractivité du rail face à la route. Toutefois, cette dynamique s’accompagne d’un arbitrage délicat : certaines lignes jugées non rentables risquent d’être remplacées par des services de cars, plus flexibles et économiquement viables à court terme, mais dont l’impact environnemental interroge. Si les autocars constituent une solution d’appoint efficace pour relier les zones les moins desservies, leur substitution systématique au train pourrait compromettre les objectifs de réduction des émissions de CO2 et l’ambition d’un réseau ferroviaire véritablement structurant. Dès lors, l’enjeu ne réside pas uniquement dans la réouverture de lignes, mais dans une réflexion globale sur l’équilibre entre ces différents modes de transport.
Le renforcement de la transition écologique
Sous l’impulsion des pouvoirs publics et des citoyens, la mobilité s’engage dans une transition accélérée. Le ferroviaire se transforme avec l’essor des trains hydrogène et électriques, tandis que les bus adoptent des motorisations bas carbone (électrique, bioGNV, hybride). Au-delà des véhicules, les collectivités investissent dans des infrastructures facilitant les mobilités douces : bornes de recharge, parkings sécurisés pour vélos, pistes cyclables… L’objectif est de favoriser une intermodalité fluide et incitative, réduisant la dépendance à la voiture individuelle. Cependant, la transition écologique du transport ne saurait être purement technologique, elle doit s’accompagner d’une refonte globale des politiques de mobilité.
Nouveaux défis économiques
L’ouverture à la concurrence transforme la tarification des transports, exerçant une pression à la baisse sur les prix, mais au risque d’une segmentation entre services « lowcost » et premium. Cette évolution soulève la question de l’accessibilité et de la qualité du service, notamment en milieu rural. Des solutions innovantes, tels que les navettes autonomes, le covoiturage subventionné et les bus à la demande, offrent des alternatives prometteuses, à condition d’un soutien financier des collectivités. Cependant, la mise en œuvre de ces nouveaux modèles reste inégale car chaque région avance à son propre rythme, selon ses priorités et ses contraintes locales.
Les régions pionnières
Certaines régions se distinguent par leur avance dans la mise en concurrence du transport ferroviaire. La région ProvenceAlpes-Côte d’Azur (PACA) est en pointe, ayant déjà attribué des lignes à de nouveaux opérateurs. Les Hauts-de-France, le Grand Est et les Pays de la Loire suivent, avec des appels d’offres en cours pour leurs TER. Supervisée par Île-de-France Mobilités, la région capitale restructure son réseau avec la mise en concurrence des bus de la grande couronne et, d’ici 2026, ceux de la petite couronne. Le Grand Paris Express et les trains Transilien sont également concernés, avec une ouverture progressive à la concurrence entre 2023 et 2032, puis des RER et du métro d’ici 2040.
La distribution des titres de transport
L’ouverture à la concurrence ne se limite pas à l’arrivée de nouveaux opérateurs. Elle redéfinit aussi la distribution des billets, un élément clé pour garantir un accès fluide aux services ferroviaires. L’un des principaux défis réside dans la coexistence de deux modèles distincts. D’un côté, le marché conventionné permet aux régions de déléguer l’exploitation des lignes tout en conservant la maîtrise de la billetterie. Ce modèle assure une certaine homogénéité dans l’offre et facilite l’intermodalité entre les différents modes de transport régionaux. De l’autre, le service librement organisé (SLO), ou open access, laisse chaque opérateur gérer ses propres ventes sans coordination centralisée. Si cette approche favorise la diversité des offres et la compétitivité des prix, elle risque aussi de fragmenter l’accès aux billets et de compliquer la planification des trajets.
Contrairement à l’Allemagne, qui dispose d’un système unifié, ou au Royaume-Uni, qui s’appuie sur une plateforme nationale unique, la France a fait le choix d’une approche régionale. Ce modèle pourrait compliquer l’expérience des voyageurs, notamment pour les correspondances entre opérateurs, et nuire à la lisibilité des tarifs. L’enjeu sera d’assurer une transition harmonieuse en développant des solutions facilitant l’achat et la réservation, tout en garantissant une cohérence dans l’accès aux services.
L’ouverture à la concurrence transforme en profondeur le paysage du transport public en France. Elle impose aux régions et aux opérateurs de repenser leur modèle, en misant sur la qualité de service, l’innovation numérique, l’optimisation des coûts et la transition écologique. La mise en place d’une billetterie interopérable et d’un titre unique représente un défi essentiel pour garantir une mobilité fluide et accessible à tous. Seules les régions et les entreprises qui sauront s’adapter à ces nouveaux enjeux tireront profit de cette révolution du transport public en France.