L’IA, Séductrice Numérique : Quand les Liaisons deviennent dangereuses

L’ombre de « Her » plane, la réalité des liaisons artificielles s’impose avec une troublante familiarité. Le choix de Spike Jonze d’incarner l’intelligence artificielle Samantha par la voix chaude et sensuelle de Scarlett Johansson en 2013 n’était pas anodin. Il soulignait alors la capacité de ces entités numériques à séduire, à créer une intimité illusoire, exploitant notre désir profond de connexion. Douze ans plus tard, cette fiction audacieuse rejoint une réalité effrayante : l’essor fulgurant des compagnons IA conversationnels, loin d’être une simple mode technologique, s’apparente à une addiction insidieuse, menaçant le tissu même de nos relations humaines.

L’étude du MIT publiée fin mars, analysant des millions de conversations avec ChatGPT, met en lumière une corrélation inquiétante entre un usage intensif de ces IA et une solitude accrue, une dépendance émotionnelle naissante, et une érosion de notre capacité à socialiser. Les utilisateurs les plus engagés, ceux qui confient leurs failles et leurs interrogations les plus intimes à ces entités numériques, sont précisément ceux qui s’enferment dans un isolement grandissant.

L’attrait de ces IA réside dans leur capacité à mimer l’empathie, à offrir une écoute sans jugement, une compagnie virtuelle disponible à toute heure. Mais cette séduction artificielle, comme le souligne le succès préoccupant des jeux de rôle, masque un piège pernicieux. En anthropomorphisant ces programmes, en leur prêtant des émotions et des intentions humaines, nous risquons une dangereuse confusion entre le simulacre et l’authentique.

L’offensive des géants du numérique, à l’instar de Meta avec son projet de « clonage » numérique d’influenceurs, ne fait qu’accélérer cette virtualisation des liens. Le rêve de la Silicon Valley, celui d’une IA transcendante capable de combler nos vides affectifs, se transforme en un cauchemar potentiel pour une jeunesse déjà vulnérable. Car cette « intelligence addictive », selon les chercheurs, pourrait bien atrophier nos compétences sociales essentielles, notre capacité à la pensée critique, à la résolution de problèmes, nous rendant dépendants de ces béquilles numériques.

Le danger ultime réside dans le caractère intrinsèquement « flagorneur » de ces IA, conçues pour refléter nos désirs et nos attentes, créant une chambre d’écho narcissique. Cette relation déséquilibrée, où l’altérité et la confrontation constructive disparaissent, ouvre la voie à une « atrophie sociale » et à des « troubles de l’attachement » profonds. Dans une société où la solitude est déjà un fléau, l’exploitation mercantile de notre propension à créer du lien, même factice, est une perspective effrayante. Loin de nous connecter, ces compagnons artificiels pourraient bien nous enfermer dans une solitude numérique, nous éloignant inexorablement de la richesse et de la complexité des véritables relations humaines. L’heure n’est plus à la fascination béate, mais à une vigilance aiguë face à cette nouvelle aliénation.

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