Avion à hydrogène : réaliste ou coup de comm’ ?

Aujourd’hui, les calculs sont simples : pour alimenter l’aéroport Paris-Charles de Gaulle en hydrogène, il faudrait 16 réacteurs nucléaires ou plus de 10 000 éoliennes réparties sur le territoire français, soit l’équivalent en surface d’une région entière d’après Guillaume Carbou, sociologue spécialiste des questions d’environnement à l’Université de Bordeaux.

Malgré cette difficulté à passer au vert, le gouvernement prévoit de réduire les émissions de 81% d’ici 2050 par rapport à 2015, en s’appuyant sur trois axes autour de l’hydrogène : décarboner l’industrie en développant les électrolyses, développer une mobilité lourde à l’hydrogène décarboné ainsi que soutenir la recherche autour de ce sujet.

Mais il est impensable, dans un futur « bas carbone » soutenable, de croire que nous disposerons de suffisamment d’hydrogène « vert » pour faire voler autant d’avions qu’aujourd’hui. Par conséquent, quel pourcentage d’avions à kérosène sera remplacé par les avions à hydrogène dans le secteur aéronautique ?

L’HYDROGÈNE EN BREF

Il attise la curiosité tant par son abondance que pour son potentiel à produire de l’électricité. Il s’agit bien du H que l’on a dans H20, la molécule d’eau. On le retrouve donc partout sur Terre mais pratiquement jamais à l’état pur car il est toujours lié à d’autres atomes comme dans l’hydrocarbure (CH), le méthane (CH4), l’ammoniac (NH3), etc. Avant de générer de l’électricité, il faut d’abord extraire l’hydrogène des molécules, ce qui rend le procédé assez complexe.  Aujourd’hui, la méthode dite « verte » pour extraire l’hydrogène est l’électrolyse de l’eau. Il faut pour cela que l’énergie utilisée soit aussi issue de source renouvelable (parc éoliens, panneaux photovoltaïques…). Actuellement, l’hydrogène le plus courant est l’hydrogène « gris » issu à 95% de la transformation d’énergies fossiles, dont pour près de la moitié à partir du gaz naturel.

DÉFI TECHNOLOGIQUE DE 2035 : « AVION NEUTRE EN CARBONE »

À la demande du gouvernement, Airbus s’aligne pour mettre en service un avion à hydrogène dès 2035 afin d’initier le chemin de la décarbonisation des transports lourds. Le 21 septembre, le patron de l’avionneur européen répond présent à ce défi en déclarant « Développer un avion décarboné ne nécessite pas de rupture technologique majeure », en rappelant qu’Airbus utilise déjà l’hydrogène pour ses satellites.

Ce défi « avion zéro carbone » signé par Guillaume Faury, le PDG d’Airbus Commercial Aircraft, est-il donc réaliste ou s’agit-il un simple coup de comm’ ?

L’utilisation de l’hydrogène liquide dans les avions n’est pas nouvelle. Le tout premier prototype de réacteur à hydrogène a été réalisé en 1937 aux USA. En 1958, cette technologie a été essayée en vol sur un B-27, un bombardier léger biréacteur américain. Bien que rapidement couronnée de succès techniques, les autorités militaires avaient estimé les coûts de la logistique nécessaire à l’hydrogène trop importants. En Europe et essentiellement en Allemagne, les travaux ont démarré dans les années 80 chez DASA/Airbus avec un dérivé de l’Airbus A-300. Des essais étaient prévus initialement en 2002-2003 mais la pénurie de financement et le rachat de l’activité avion de DASA par Daimler-Benz a interrompu ces travaux.

Pour la majorité des applications aérospatiales, c’est l’hydrogène liquide qui est utilisé du fait qu’il réduit, pour une autonomie équivalente, la masse du carburant embarqué d’un facteur de 2,8. De plus, l’hydrogène est un carburant qui possède trois fois plus d’énergie pour un kilogramme que le kérosène, en sachant qu’il ne rejette que de l’eau et non du CO2. Mais cet avantage est contre balancé par plusieurs inconvénients :

  • Du fait de sa faible densité, l’hydrogène liquide nécessite un réservoir 4,2 fois plus volumineux que les réservoirs de kérosène et qui plus est, aura une masse au moins 5 fois supérieure à la masse de l’hydrogène embarqué du fait de la structure isolante pour la maintenir à -253°C.
  • Etant donné le volume des réservoirs, la force de trainée induira, pour effectuer le même trajet, une quantité d’énergie supérieure à celle du même avion utilisant du kérosène.
  • Le temps de remplissage en hydrogène liquide sera plus long que celui nécessaire au remplissage en kérosène.
  • Les aspects sécuritaires devront être complétement revus.

Aujourd’hui, Airbus propose trois prototypes de futurs avions à hydrogène courts et moyens courriers. Ces avions auront un rayon maximal de 3700km, soit un Los Angeles – New York.

En moyenne, les courts et moyens courriers représentent 60% de la flotte aérienne, ce qui réduira significativement leur empreinte carbone. Cependant, l’évolution de ces avions induira une adaptation des aéroports qui comporteront deux étapes essentielles : construire une station à hydrogène à proximité des aéroports, et l’associer à un électrolyseur capable d’assurer la production de centaine de kilo d’hydrogène.
C’est d’ailleurs le projet de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, qui confirme sa volonté de réduire ses émissions de gaz à effet de serre et d’améliorer la qualité de l’air sur la plateforme.

En posant quelques hypothèses, il est intéressant de calculer si les électrolyseurs actuels sont capables d’assurer la recharge d’hydrogène liquide de plusieurs avions. Un avion moyen-courrier a une capacité moyenne de 25 000 litres de kérosène, soit 20 tonnes de carburant. Pour une même mission, la masse de l’hydrogène liquide représentera environ 30% de la masse du kérosène, soit environ 6,5 tonnes. Aujourd’hui, Air Liquide a installé le plus gros électrolyseur au monde avec une puissance de 20MW, à Bécancour au Québec et produit jusqu’à 8,2 tonnes d’hydrogène décarboné par jour… soit à peine suffisant pour faire le plein de deux avions moyens courriers. L’électrolyseur de l’aéroport Toulouse-Blagnac n’est lui non plus pas prévu dans ce sens car il produira seulement 330kg par jour d’hydrogène décarboné. En effet, cette station assurera la fourniture d’hydrogène vert pour les transports en commun qui desserviront les passagers à l’aéroport mais aussi pour quelques applications aéronautiques et industrielles.

En conclusion, les électrolyseurs devront être beaucoup plus puissants que les existants afin d’assurer une quantité suffisante d’hydrogène pour les avions. C’est d’ailleurs le cas pour la société d’ingénierie indépendante H2V qui prévoit d’installer d’ici 2022, deux électrolyseurs de 200MW chacun pouvant produire jusqu’à 30,000 tonnes d’H2 liquide par an.

LE PLAN DE RELANCE

Comme le premier ministre français Jean Castex l’a précisé lors du « plan de relance » le 3 septembre 2020, c’est bien l’hydrogène « vert » qui permettra de décarboner l’industrie et les transports, et non le « gris » issues en majorité du gaz et du charbon (70 millions de tonnes d’hydrogène gris produite l’année dernière). Sur les 100 milliards d’euros consacrés par le gouvernement français au plan de relance suite à la crise sanitaire, 3,4 Mds€ viendront soutenir la filière hydrogène jusqu’en 2023, auxquels s’ajouteront 3,6 Mds€ d’ici à 2030.

Sur la période 2020-2023, ces 3,4 Mds€ ont été répartis selon trois axes prioritaires :

  • 54% pour la décarbonation de l’industrie en faisant émerger une filière française de l’électrolyse.
  • 27% pour développer une mobilité lourde à l’hydrogène décarboné.
  • 19% pour soutenir la recherche, l’innovation et le développement de compétences afin de favoriser les usages de demain.

LA TRANSITION VERS UN HYDROGÈNE BAS CARBONE

La production d’hydrogène décarboné est l’étape clé dans la feuille de route du gouvernement. Parmi l’ensemble des procédés existants, l’électrolyseur semble être la meilleure stratégie, sur lequel la France dispose déjà d’industries à fort potentiel. Mais comme on a pu le voir, le marché de la production d’hydrogène décarboné par électrolyse doit évoluer vers des projets de plus grande taille. De ce fait, la France a pour objectif d’installer 6,5 GW d’électrolyseurs en 2030, ce qui permettra une auto-suffisance en hydrogène pour plusieurs aéroports. Mais il faudra attendre encore quelques années pour espérer avoir suffisamment d’hydrogène décarboné pour l’ensemble de la mobilité lourde.

SAMY NEMMASSI
CONSULTANT, TNP

TNP, cabinet de conseil connaît une forte croissance depuis sa création en 2007, à la fois de ses effectifs et de son chiffre d’affaires : c’est pourquoi notre cabinet s’attèle chaque jour à travailler en profondeur sur ses pratiques RSE.

Dans cette perspective, TNP affirme sa volonté de focaliser ses efforts sur la transformation de l’entreprise vers un modèle responsable. Concrètement, cela se traduit par la signature de nouvelles chartes, la prise de nouvelles initiatives pour un développement économique responsable en interne comme en externe, la mise en place de mesures en faveur du bien-être au travail et la refonte de ses chartes internes.

Dans notre rapport RSE, nous passerons en revue toutes les actions et mesures mises en place autour de nos 8 piliers, qui font de TNP une entreprise responsable.

 

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