L’Intelligence Artificielle au service de la PAC

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Un article de Véronique LEMAIRE-CURTINOT, Directrice des soutiens directs agricoles Agence Services et Paiment de L’État (ASP), paru dans le livre blanc « Quelle entreprise à l’ère de l’IA en 2030 ? »

La PAC (politique agricole commune) a notamment pour objectifs d’assurer un revenu équitable aux agriculteurs, de renforcer leur compétitivité et de protéger l’environnement et la biodiversité. L’ASP (Agence de Services et de Paiement) est le plus gros organisme payeur européen. Il distribue près de 10 milliards d’euros par an, dont 8,7 milliards sur le Système Intégré de Gestion et de Contrôle. Dans ce cadre, la Commission européenne a imposé aux États membres un nouveau dispositif de suivi des dossiers qui repose sur l’utilisation d’images satellite pour déterminer les critères d’éligibilité aux aides grâce à l’intelligence artificielle. 

Le système de suivi des surfaces agricoles 

Dans le cadre du déploiement de la PAC 2023-2027, tous les États membres doivent mettre en place le nouveau Système de suivi des surfaces agricoles en temps réel (3STR). L’ASP en assure la mise en œuvre pour la France et a réalisé un déploiement par étapes du processus complet, y compris une application d’interrogation des agriculteurs permettant de renvoyer des photos géolocalisées en cas d’incertitude de l’IA. Ainsi, le prototype de cette application a été testé auprès de 400 exploitants bêta testeurs avant d’être déployé pour les 300.000 exploitants français. Après deux années expérimentales en 2021 et 2022, le Système 3STR a été déployé en 2023 et a permis de valider les paiements de deux aides. 

Le Système 3STR permet d’automatiser la reconnaissance des critères d’éligibilité aux subventions surfaciques, grâce à la vérification du couvert déclaré sur les parcelles, et ce, en utilisant les données acquises par le programme européen d’observation de la Terre Copernicus. 

Des satellites assurent en continu l’acquisition d’images optiques et radar, permettant de suivre l’évolution des cultures sur les surfaces agricoles, grâce à une acquisition tous les 3 à 6 jours. Les images sont analysées par plusieurs algorithmes d’intelligence artificielle : cela permet de s’assurer de la conformité des demandes d’aides des exploitants. Lorsque l’analyse automatique des images satellites ne permet pas de conclure sur l’éligibilité de la parcelle, une instruction complémentaire est effectuée. L’administration peut alors demander aux exploitants de prendre et de communiquer des photos géolocalisées de la parcelle présentant le couvert en place et attestant d’un entretien minimal des terres. L’analyse des photos géolocalisées envoyées par les exploitants permet de statuer sur l’éligibilité de la parcelle. Si les photos ne sont pas suffisantes, un agent de l’administration se déplace pour visualiser la parcelle. 

Ce suivi en continu s’accompagne de la mise en place d’un système de prévention des erreurs, qui permet aux exploitants de faire jouer le droit à l’erreur jusqu’au 20 septembre, soit sur alerte de l’administration, soit de sa propre initiative. Ainsi, si une anomalie est détectée par le Système 3STR, entre le couvert déclaré et le couvert reconnu, l’exploitant est informé par l’administration pour qu’il puisse modifier sa déclaration avant paiement. 

Les premiers retours d’expérience 

Au début, les agriculteurs ont exprimé certaines réticences, notamment la crainte d’être observés par satellite ou l’impression de réaliser le travail de contrôle à la place de l’administration. Quelques limites dans l’utilisation de l’IA ont également été constatées : par exemple, le recours aux satellites ne fonctionne pas pour détecter les cultures en pleine terre sous serre, ou la prépondérance dans un mélange d’espèces. Dans les deux cas, il est nécessaire d’établir des constats in situ ou avec des photos géolocalisées. 

Initialement, la Commission européenne affirmait que les contrôles sur place ne seraient plus nécessaires. Dans la réalité, les déplacements n’ont pas diminué, notamment pour le comptage des animaux ou les surfaces qui ne peuvent pas être surveillées. Historiquement, environ 5% des dossiers étaient contrôlés. Avec le Système 3STR, davantage de dossiers nécessitent un déplacement terrain mais ceux-ci sont de nature différente des contrôles sur place précédents et un gain de temps a été observé pour chaque dossier. De plus, avec ce Système, l’administration est désormais certaine de ce qui est déclaré. Toutefois, au global, la charge administrative n’a pas du tout diminué. 

Même si le Système 3STR s’améliorera au fil des ans, les gains escomptés ont peut-être été sur estimés. Une mutualisation du dispositif entre les États membres pourrait sans doute permettre d’obtenir des gains d’échelle. 

Véronique Lemaire-Curtinot Directrice des soutiens directs agricoles - ASP