L’intelligence augmentée est en marche 

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Un article de Luc JULIA, Directeur scientifique chez Renault Group, paru dans le livre blanc « Quelle entreprise à l’ère de l’IA en 2030 ? »

Tout d’abord, il apparait souhaitable de remplacer le terme Intelligence Artificielle par Intelligence Augmentée et de cesser d’employer ce mot «artificielle» qui est trompeur et mensonger. En effet, l’Intelligence Augmentée exprime beaucoup mieux le fait qu’elle est conçue pour améliorer notre intelligence plutôt que pour la remplacer. La première vertu de l’Intelligence Augmentée est de nous décharger de certaines tâches pour nous concentrer sur l’essentiel. L’IA améliorera les produits et les services mais elle ne remplacera pas les humains. L’exemple des radiologues qui seraient remplacés par l’IA et deviendraient inutiles est particulièrement éloquent. L’IA va considérablement améliorer la détection des cancers. Mais si on supprime le radiologue, on élimine le dialogue avec le patient. Or, un robot doté d’une IA n’a pas la capacité de dialoguer, de faire preuve d’empathie, de convaincre le patient du bien-fondé de son traitement. Le radiologue restera donc indispensable.

L’impact sur les entreprises 

L’IA générative est applicable dans tous les domaines. Mais une IA générative basique est relativement médiocre. Elle est plus performante lorsqu’elle est finement réglée («fine tuning»), en intégrant des données spécifiques. L’IA interagit via un ordre à exécuter (le «prompt»). Elle permet aux collaborateurs d’être plus efficaces en se concentrant sur les tâches qui constituent la quintessence de leur métier. L’IA va largement se déployer dans les entreprises, dans les usines, dans les activités de maintenance prédictive, dans les bureaux de conception, dans les activités de design… Elle sera utilisée dans les fonctions support de l’entreprise, pour rédiger des contrats, faciliter les RH… La créativité demeurera le privilège de l’humain mais l’IA permettra de réaliser des gains de temps et de productivité conséquents.  

À titre d’exemple, le métier de journaliste ne sera en aucun cas remplacé par l’IA. En revanche, le journaliste sera déchargé de certaines tâches à moindre valeur ajoutée et pourra ainsi se concentrer sur son cœur de métier qu’est l’investigation. 

 L’IA va également se déployer dans les produits proposés par les entreprises à leurs clients. Dans les voitures électriques, l’IA sera un assistant de plus en plus performant. Elle permettra un véritable dialogue avec le conducteur. Renault propose ce type d’assistant conversationnel dans la R5 électrique. Il est proactif, par exemple en proposant au conducteur de réduire sa vitesse avec un limitateur lorsqu’il est en dépassement. Et il est réactif, par exemple en exécutant une demande vocale du conducteur pour la fermeture des vitres du véhicule.  

Il convient toutefois de former les collaborateurs aux limites potentielles de l’IA, en particulier l’apprentissage du doute. 

L’acceptation sociétale de l’IA 

Les technologies dérivées de l’IA ont apporté un plus grand confort de vie et ont favorisé la croissance économique. La finalité de l’IA n’est pas de recréer un homme, ce qui est impossible, mais de renforcer ses capacités. Les humains garderont le contrôle car ils ont de l’empathie, de la sensibilité et un sens commun. La machine ne décide pas, c’est l’être humain qui prend les décisions, grâce à son intelligence amplifiée par la technologie. Elle devient alors une aide pour toutes les activités humaines.  

Face aux nouveautés technologiques, l’Europe a l’habitude de réguler. Mais elle risque de commettre des erreurs en allant trop vite dans la régulation de l’IA. Il est parfois préférable de prendre le risque de se tromper plutôt que de couper court à toute innovation.  

Ainsi, l’interdiction des manipulations génétiques décidée par la France à la fin du XXème siècle lui a fait prendre beaucoup de retard. De même, l’interdiction de la reconnaissance faciale a été précipitée, en particulier dans un contexte où le terrorisme prospère et dans la perspective de grands rassemblements comme les Jeux olympiques. 

Les conséquences de l’utilisation de l’IA 

La technologie nous fait progresser. Cependant, les études d’impact et les études prospectives ont tendance à raconter n’importe quoi. Au départ, les concepteurs des nouveaux outils promettent toujours la lune. La réalité est que personne ne connait les conséquences des outils que nous développons. 

L’IA est une évolution, pas une révolution. La technologie utilisée à base de modèles mathématiques n’est pas révolutionnaire. Elle apporte davantage de capacités de calcul et de traitement de données mais sa progression n’est pas infinie. Tôt ou tard, elle rencontrera des limites.  

Comme n’importe quel outil, l’IA peut être utilisée de manière constructive ou pour commettre des bêtises. De même qu’avec Internet est apparu le «dark Net», nous verrons sans doute apparaître une « IA noire ». Le monde évolue ainsi depuis la nuit des temps. Dans les années 1960, nous avons frôlé la catastrophe nucléaire. Puis, il y a eu un accord mondial avec les traités Salt 1 en 1972 et Salt2 en 1979 sur la limitation des armements stratégiques. Ce qui est en cause, c’est la façon dont nous utilisons l’IA, pas l’outil en lui-même. 

La compétition géopolitique  

Les humoristes ont l’habitude de raconter que les États-Unis innovent, que la Chine copie et que l’Europe régule. La réalité est que l’essentiel de l’innovation se passe dans la Silicon Valley.  

Les Français sont les meilleurs au monde en mathématiques et sont très forts dans le domaine de l’IA. Il suffit d’observer le nombre de prix Turing décernés à des Français. La French Tech est un bon outil entrepreneurial, qui a permis le développement d’un tissu de start-up, notamment dans les domaines de l’IA et de la cybersécurité. Mais la France n’a pas de savoir-faire pour faire grandir et mettre à l’échelle ses start-up («scale-up»). Le rôle de Bpifrance est cantonné à l’amorçage, avec des mises de départ de 1 à 5 millions d’euros. 

 Le capital risque que l’on trouve aux États-Unis n’existe pas en Europe. La capacité et les moyens en termes de «scale-up» se trouvent dans la Silicon Valley. Seuls les Américains savent mobiliser plus de 100 millions de dollars pour un projet. Le mot clé en matière d’innovation est le risque. Or, le risque est lié à l’échec. La Silicon Valley a intégré l’échec dans l’apprentissage en acceptant que 90% des projets échouent. Aux États-Unis, l’échec est une étape obligatoire pour apprendre. En France, l’échec est interdit.  

La Chine apprécie moins la notion de risque. La culture asiatique n’aime pas l’échec. C’est pourquoi la Chine continue de copier les États-Unis. Mais elle est confrontée à des obstacles politiques. Une IA générative est incompatible avec la censure imposée par les autorités chinoises. 

Luc Julia Directeur scientifique - RENAULT GROUP