La mobilité en 2035

Un article de Jacques Chauvet, senior advisor, TNP paru dans le livre blanc « La mobilité en 2035 »

Rêvons un peu : on aimerait que la mobilité en 2035 soit devenue un droit reconnu partout et pour tous. Parce que la mobilité est la première condition de la liberté, condition de l’accès à la culture, à l’emploi, à la santé… Naturellement, l’horizon 2035 est trop court pour que ce droit soit devenu une réalité, mais d’ici cette date, des changements considérables se seront produits pour tendre vers cet idéal.

C’est cette tendance qui devrait orienter les investissements, favoriser les technologies de partage, modifier les usages. Bien sûr, on ne verra pas encore, ou peu, les modules de téléportation de Star Trek ou les voitures volantes des rêves de notre enfance, mais il y aura un peu partout des expérimentations de nouvelles façons de se déplacer, des taxis autonomes ou des drones avec passagers, des navettes de transports publics de petite taille pour embarquer peu de passagers et avec parcours à la demande, des utilitaires de livraison sans conducteur, des véhicules à deux places en location libre… Nous allons assister à une personnalisation de la mobilité collective dans un cadre normé de réduction des nuisances environnementales de la mobilité.

 

Un changement de paradigme

Toute la chaîne de la mobilité va être impactée, des villes à la campagne. On ne se déplacera plus comme on le fait aujourd’hui. La mobilité devra être plus écologique, personnalisée, accessible par des applications intermodales, avec des territoires organisés en plusieurs petits centres connectés. Les usagers pourront concevoir leur mobilité à la carte, y compris pour les personnes à mobilité réduite. En 2035, le parc auto- mobile sera encore thermique aux deux tiers.

Plusieurs « game changers » sont en cours : le passage à l’électrique en Europe d’ici à 2035, avec un réseau de bornes de recharge suffisamment dense ; le développement de la micromobilité en ville (trottinettes électriques); la densification de l’offre de services autour du premier kilomètre à parcourir ; l’offre de transport à la demande accessible par des appli- cations, service tout-en-un incluant les VTC, le covoiturage, les navettes autonomes, les systèmes autonomes sur des itinéraires dédiés pilotés par l’intelligence artificielle ; la multi modalité et la multi opérabilité des moyens de transports publics et privés rendant facilement accessible la recherche par son smartphone d’un moyen de transport de proximité avec un temps d’attente réduit et certainement des changements profonds dans la fiscalité des transports tant publics que privés. La mobilité pour tous, cela veut dire qu’elle devient un bien commun, avec un nouveau partage de l’usage de l’espace public jusqu’ici dominé par la voiture.

Ces changements seront facilités par une baisse sensible des déplacements entre le domicile et le travail – grâce au développement du télétravail –, par la désynchronisation des flux de déplacements tant journaliers que saisonniers, et l’ubiquité numérique, et par un retour vers une certaine forme de lenteur et une priorité accrue à la proximité autour de services recréés après avoir disparu : alimentation, poste, tabacs, services numériques locaux, …

 

La place de la voiture individuelle

La place de la voiture individuelle sera réduite, mais restera essentielle. Les villes représentent 2 % de la surface du globe, mais 70 % des émissions de gaz à effet de serre. Les villes se seront fermées progressivement à la voiture individuelle, notamment thermique, les pratiques des jeunes générations seront devenues les nouveaux standards de déplacements qui ne se centrent pas sur l’achat d’une voiture, mais sur la lo- cation d’un usage personnalisé et intermittent, et l’achat d’un service plutôt que d’un véhicule individuel. Moins de véhicules en circulation urbaine, des voitures devenues des télé- phones sur roues permettant la continuité sans couture de la gestion des informations et le développement des offres de services personnalisés, des voitures individuelles « propres », majoritairement électriques ou fonctionnant aux biocarburants ou à l’hydrogène, des véhicules garantis à vie que l’on louera au lieu de les acheter et que l’on utilisera à travers des formules d’abonnement permettant d’avoir à chaque moment le véhicule dont on a besoin, des véhicules partiellement autonomes (niveau 3 ou 3+), enfin des véhicules connectés aux logiciels d’optimisation des trajets et modulables en temps réel pour faciliter à la fois la multimodalité, l’autopartage et la complémentarité entre transports individuels et transports publics. La quantité des nouvelles technologies qui seront embarquées dans ces voitures croît très vite. Des centaines de start-ups cherchent la bonne idée comme le montre le CES de Las Vegas. Dans les marchés mûrs européens, cela devrait aboutir à faire baisser le marché par rapport aux niveaux records de la décennie 2010. Bref, nous serons passés pour les constructeurs de la vente de voitures à la vente de services, et pour le client, de l’achat à l’usage. Avec une question non résolue, celle du coût des voitures individuelles, dont l’accessibilité au plus grand nombre est une condition de la mobilité pour tous.

 

Les transports publics

C’est l’autre volet majeur de la transformation de la mobilité. Il sera indispensable à une vraie interopérabilité (connexion entre différents modes de transport), qui passe par l’utilisation des données publiques de transport, par des applications privées pour optimiser les trajets tant du point de vue du temps passé que de l’empreinte écologique : itinéraires plus économes en carburant, mesure en temps réel de la qualité de l’air, pools locaux à haute intensité de transport. Et cette révolution ne sera pas seulement le fait des acteurs publics actuels. Il y aura de nouveaux acteurs et de la concurrence, le capital des acteurs publics sera lui-même ouvert à des investisseurs privés pour assurer leur financement.

L’exemple de Waze montre les possibilités de ce partage des données avec un accès en temps réel aux informations de trafic, de travaux… remontés par les départements. Il y aura demain de multiples Waze avec des domaines régionaux très perfectionnés pour permettre une vraie fluidité dans les choix des usagers. Un effort d’investissement très élevé sera nécessaire pour permettre une bonne articulation entre transports privés et transports publics, avec un investissement massif dans les technologies de route intelligente et de transferts de données V2X.

La mobilité urbaine ne peut changer qu’avec des transports publics répondant aux besoins des utilisateurs, en qualité, en fréquence et en coût. Et l’usage accru des transports publics et moindre de la voiture individuelle permet d’imaginer des solutions « douces » pour les livraisons en centre-ville, pour le dernier kilomètre, pour la multimodalité urbaine… Pour cela, le maître mot est la simplicité avec le billet unique pour tous les réseaux, des facilités de connexion en tous lieux, des appli- cations pour favoriser l’intermodalité. Pourquoi ne pas imaginer que la RATP soit demain transformée en Régie Autonome des Taxis Parisiens ? Aujourd’hui, 60 % des français utilisent une application pour se déplacer. En 2035, on ne pourra plus se déplacer sans utiliser les applications.

 

Les freins à la mobilité pour tous

La transformation nécessaire est d’une telle ampleur que les freins à la mobilité sont multiples : à commencer par faire coopérer les différents acteurs-villes, régions, États, sans même parler du régulateur européen. Tous ces acteurs n’ont pas la même autonomie de décision.

Il y a trois principaux freins :

un énorme problème de financement pour moderniser le système de transports publics urbains et interurbains, le rendre compatible avec les exigences de mobilité personnalisée des usagers, créer les infrastructures de parking aux endroits de changement de moyen de transport, intensifier les collectes de données indispensables.

Il y a aussi l’accès aux matières premières indispensables tant pour les batteries que pour les puces nécessaires au fonctionnement des voitures autonomes (puces qui doivent durer plus longtemps que sur un smartphone et être d’une résistance à toute épreuve. Dans une économie mondiale durablement retournée dans une croissance de coûts marginaux, plus la demande de semi-conducteurs sera forte, plus ils seront chers.

Et enfin la question du coût de la mobilité pour l’usager va être un problème permanent, coût d’accès au véhicule élec- trique, coût de la recharge électrique aux bornes, coût des transports publics individualisés…

Une mobilité pour tous, c’est une mobilité abordable, écologique et personnalisée autour de déplacements réduits et de proximité.