La transposition des accords de Bâle 3 dans le droit européen

25 novembre 2022

Un article de Junior Boulleys, directeur associé, TNP, paru dans le Livre Blanc « Bâtir une Europe financière souveraine »

À l’automne 2021, la Commission européenne a communiqué sa proposition pour finaliser la transposition de Bâle 3, ouvrant un cycle de discussion entre les États membres et le Parlement européen pour parachever des travaux ouverts depuis 2017. Nous sommes dans l’ultime étape d’autant plus que le processus d’adoption s’est engagé sous présidence française.
Ceci étant dit, en dépit des déclarations de la Commission européenne et de l’ACPR qui y voit « le meilleur accord possible pour promouvoir la stabilité financière au niveau international », les banques européennes restent inquiètes des impacts potentiels sur leur niveau de rentabilité et sur les conditions de concurrence avec les banques américaines sur les activités de marché et de crédit.


L’Union bancaire n’est pas en voie d’achèvement

Il est important de rappeler que la mise en place de l’Union bancaire européenne constitue un enjeu de souveraineté, notamment face aux États-Unis qui imposent leurs règles bancaires, mais aussi face à la Chine. Cela a pour conséquence de flécher l’épargne des Européens en dehors de l’Europe. Aussi, les Européens sont-ils condamnés à s’entendre.

Même si depuis 2012 nous avons pu finaliser ce que l’on considère comme les deux premiers piliers de l’Union bancaire, le Mécanisme de Surveillance (MSU) et le Mécanisme de Résolution Unique (MRU), les discussions restes vives autour du troisième pilier que constitue la mise en place du Système Européen d’Assurance des Dépôts (SEAD). Le troisième pilier doit assurer la confiance des épargnants en garantissant leurs dépôts en cas de défaillance de la banque. En effet, l’Allemagne et les pays d’Europe du Nord pensent que leurs épargnants vont payer pour les défaillances des banques du sud de l’Europe ; les banques françaises se plaignent du niveau de cotisation ; et l’Italie critique la difficulté pour ses banques de consolider leur bilan en achetant des obligations d’État italiennes.

Cependant, l’optimisme semble de mise car les dernières propositions de l’Eurogroupe et de la Commission ont été plutôt bien accueillies et laissent présager une reprise, voire une finalisation des discussions dans un climat apaisé.

 

L’obligation d’avoir recours à l’approche standard pour le calcul des actifs pondérés

La transposition de Bâle 3 marque de facto la fin de l’utilisation des modèles internes tels qu’ils étaient utilisés jusqu’à présent. La mise en place de l’«output floor» (plancher en capital) va limiter les avantages en termes de fonds propres qu’une banque peut tirer lorsqu’elle utilise un modèle interne pour valoriser ses risques. Cela va obliger les banques à revoir l’ensemble de leurs modèles et va les amener à procéder à des arbitrages sur la gestion de leurs activités en privilégiant celles qui offriront un niveau de rentabilité acceptable au regard du coût en termes de consommation de fonds propres.

Il faut cependant indiquer que le calcul de l’«output floor» à un niveau plus consolidé a été bien accueilli par les banques françaises – qui sont celles qui ont demandé le plus d’évolutions sur la transposition de Bâle 3 – et constitue une étape supplémentaire vers l’Union bancaire en permettant de faciliter des rapprochements transfrontaliers.

 

Un coût supplémentaire pour les banques

C’est une évolution importante dans la mesure où l’impact en termes de RWA (Risk Weighted Assets) sera plus important que via l’utilisation des modèles internes. Celle-ci a fait l’objet de vives critiques de la part du régulateur au sortir de la crise financière de 2008 concernant une complexité excessive des approches IRB (Internal Rating Based), des insuffisances en termes de comparabilité des exigences de fonds propres et un manque de solidité de la modélisation de certaines classes d’actifs.

 

Les mesures transitoires et dérogatoires à l’accord Bâle 3

La position de l’ACPR est claire : le caractère dérogatoire de certaines mesures concernant le crédit immobilier ou les entreprises non cotées, par exemple, ne doit pas être remis en cause sous peine d’engager la crédibilité internationale de la France et de l’Europe. A contrario, la FBF souhaite pérenniser ces dispositions. Nul ne sait qui aura gain de cause.

 

Le calendrier de mise en œuvre des réformes proposées

Le calendrier de mise en œuvre – qui a notamment été étalé pour tenir compte de la crise sanitaire – n’a jamais été un problème majeur, d’autant que sur certains sujets il s’étend jusqu’en 2032.

 

Une évolution de la réglementation favorable aux banques étrangères

C’est l’une des craintes de l’industrie bancaire européenne qui n’est partagée ni par la Commission européenne ni par l’ACPR.

Les principaux arguments avancés sont les suivants. Bien que leurs positions de trading soient plus élevées, les banques américaines bénéficient d’aménagements plus importants que les banques européennes, rendant les contraintes de FRTB (Fundamental Review of Trading Book) moins pénalisantes en termes d’exigences minimales de fonds propres Tier 1. La mise en place de l’« output floor » réduit les avantages de l’utilisation des modèles internes, pénalisant notamment les banques françaises qui ont dépensé des sommes importantes pour se doter de dispositifs d’évaluation des risques sophistiqués. Via Freddie Mae et Fannie Mac, les banques américaines ont la possibilité de céder leurs prêts hypothécaires et de les sortir de leurs bilans. Ainsi, l’approche standard révisée du risque de crédit va moins impacter les banques américaines, ce qui ne sera pas le cas pour les banques européennes, notamment les banques françaises.

 

Le secteur bancaire et européen face au processus de transposition de Bâle 3

Dans l’ensemble, les spécificités européennes ont été prises en compte par la Commission européenne. Cependant, les divergences portent actuellement sur le caractère transitoire de certaines mesures que les banques veulent pérenniser. C’est là où se situe la nouvelle ligne de front dans les échanges avec la Commission, le régulateur et les banques