Le fret ferroviaire, vecteur de la décarbonisation du transport à l’horizon 2035

HDD MOB (6)
05 juin 2023

Un article de Alexandre Gallo, Pdg, (DB Cargo France) paru dans le livre blanc « La mobilité en 2035 »

Actuellement 10 % des marchandises circulent par rail. Considérant les vertus environnementales de ce mode de transport, l’État souhaite doubler cette part à l’horizon 2030 pour atteindre 25 % en 2050.

 

Le fret ferroviaire en traction électrique dégage neuf fois moins d’émission de CO2 que le transport routier, et nécessite six fois moins d’énergie. On peut ajouter qu’il dégage huit fois moins de particules nocives. Ainsi, en chargeant un train, on évite de mettre 40 camions sur les routes ! Or les prévisions de trafic de marchandises devraient augmenter de 30% d’ici 2030. Si on ne fait rien, il y aura donc 190 000 camions supplémentaires sur les routes.

La caténaire est une vraie chance pour le ferroviaire même si le prix de l’électricité est monté en flèche avec la guerre en Ukraine. Auparavant, en situation normale, on achetait notre électricité environ à 50 à 60 ¤ du MWh. Le point d’équilibre entre le diesel et l’électrique est aux alentours de de 270 ¤/MWh. Il y a donc de la marge avant que l’électricité ne soit plus compétitive.

Même si aujourd’hui des circonstances exceptionnelles font que le prix de l’énergie que SNCF Réseau fait payer aux entre- prises ferroviaires est au niveau insoutenable de 473,5 ¤MWh, nous espérons que cette situation trouve une issue rapide avec l’aide d’EDF et de l’État, pour permettre au fret ferroviaire de poursuivre sa croissance.

 

Le trafic routier va aussi réduire son empreinte carbone avec les premiers camions électriques sur les routes

C’est pour cela qu’il faut rapidement que le ferroviaire gagne des parts de marché pour doubler sa part modale, avant que les solutions routières soient complètement déployées en 2030-2035. C’est une vraie course contre la montre. De plus, il faut se rendre compte que rien que pour le trafic poids lourds routier français, ce ne sont pas moins de 616 500 véhicules, dont 307 400 camions. Quatre poids lourds sur dix ont moins de quatre ans. Par- mi l’ensemble des poids lourds, 98,4 % roulent au diesel et 53,1 % relèvent de la vignette Crit’Air 2. Cela ne se fera donc pas en un claquement de doigt.

Les solutions pour engager cette croissance

Plusieurs leviers sont à notre main. D’abord, favoriser le transport combiné, c’est-à-dire le transport intermodal, associant le ferroviaire et le transport routier pour la desserte finale. Le transport combiné doit tripler quand l’ensemble de l’activité va doubler d’ici 2030. Il y a un réel engouement des clients car il ne nécessite pas d’aller avec un train jusqu’aux installations clients, et d’autre part il nécessite moins de volumes, puisque le train peut être partagé avec plusieurs clients. Le trafic a fait +16% sur un an. Cette augmentation trouve plusieurs causes : des clients qui s’intéressent aux émissions de CO2, des coûts de l’énergie qui explosent, et on en parle moins, dans une conjoncture où les chauffeurs routiers manquent, il en faut 40 fois moins pour le ferroviaire !

Il y aussi des subventions versées par l’État pour aider le trans- port combiné, comme l’aide à la pince et des subventions du péage qui représente 12% du cout du transport ferroviaire, alors que le cout du péage pour les routiers est bien plus marginal.

Le deuxième levier, c’est le wagon isolé. Il répond bien à la demande de certains secteurs, comme les biens de consommations avec une croissance de la demande de 7 % en moyenne annuelle. Il permet en effet des rotations élevées avec des temps de transports rapides entre des grands hubs de consommation. Pour continuer à croître, il faudra coupler ces wagons isolés à de l’intermodal.

On a aussi un certain nombre d’initiatives digitales qui doivent nous conduire à mieux exploiter nos convois, mieux prévoir nos horaires d’arrivés, par exemple par des alarmes en cas de retard en utilisant les données de géolocalisation de nos trains. Le tracking des marchandises est un point sur lequel on travaille, en donnant de la visibilité à nos clients.

 

Doubler la part de marché du fret ferroviaire d’ici 2030, c’est très ambitieux, surtout si on garde en mémoire que les volumes de marchandises transportées se sont effondrés de 40% depuis 2000 alors que le transport routier a augmenté sa part modale de 16% pendant cette période

C’est vrai qu’il y a des freins multiples : d’abord il manque une quinzaine de terminaux combinés bien positionnés sur le territoire, par exemple en région parisienne, mais aussi Lyonnaise, Bordelaise, ainsi que dans le sud de la France, sur les 30 actifs que compte actuellement la France.

Au niveau portuaire, un effort conséquent a été réalisé pour développer des ports tel que ceux d’Haropa, mais sans que l’accessibilité au transport combiné ait été pris en compte. En clair, l’accessibilité de ces ports pour les trains est à améliorer.

Ensuite, la régénération massive du réseau français depuis près de 10 ans occasionne des travaux de nuit, période à laquelle circule l’essentiel des trains de fret, créant des congestions. La croissance du trafic voyageurs de jour réduit d’autant les alternatives pour le fret. Remarquons que l’âge moyen du réseau est de 28 ans en France contre 15 ans en Allemagne. Ce vieillissement du réseau français se traduit par des ralentissements nombreux, préjudiciables au fret pour les longs trajets par rapport aux camions. Les avaries fréquentes du système ferroviaire (signalisation vieillissante…) entachent la régularité, obligeant les transporteurs à attendre dans les terminaux que les trains arrivent. Quelle perte de productivité !

Plus globalement, la France investit 40 €/habitant sur son ré- seau ferré quand le Danemark investit 182 €/habitant, ce qui semble le bon niveau en Europe. Il manque ainsi 10 milliards par an d’investissement. On retrouve ce que le président de SNCF a demandé, c’est à dire une enveloppe de 100 Mds d’eu- ros sur 10 ans. Malgré l’augmentation des chantiers, on reste donc en fort sous-investissement.

Il faut massifier les travaux, mais tout en préservant les circulations, en investissant par exemple dans ce que l’on appelle les suites rapides qui sont des trains usines qui font l’ensemble des opérations en même temps et libèrent plus vite les voies. Ils divisent le temps des travaux par cinq.

Au-delà des voies, il faut moderniser et regrouper les postes d’aiguillage pour automatiser la circulation et la rendre plus fiable et moins chère. C’est un projet en cours de SNCF Réseau qui s’étend sur un temps long.

Il y aussi la création du nouveau corridor entre la France, l’Italie, et l’Europe de l’Est, qui est très attendu des entreprises et qui nécessite de réaliser l’axe Lyon-Turin (TELT), projet qui avance lentement.

Il faut enfin citer le sujet des tunnels dont les gabarits sont souvent inadaptés pour permettre de faire circuler des conteneurs de grandes dimensions. C’est un défaut exclusivement présent sur le réseau français, alors que l’ensemble de nos voisins savent faire circuler des camions sur des trains. Cela est très limitant en France puisque ces trains ayant par- couru l’Europe, se transforment en camions à la frontière pour circuler en France.

Ainsi, le trafic international longue distance, domaine dans lequel le ferroviaire est particulièrement compétitif par rap- port à la route, s’opère plus difficilement en France.

En conclusion, la volonté de l’Europe et de la France de s’at- taquer à ces freins est réelle. La question est la vitesse à laquelle tout ceci doit se transformer pour ne pas se faire distancer par le routier qui lui-même se modernise.

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