Les « business models » des constructeurs automobiles en 2035

Un article de Guillaume Kerbrat, directeur associé, TNP paru dans le livre blanc « La mobilité en 2035 »

La tendance principale qui semble critique et qui impactera durablement le « business model » est celle de la hausse des coûts associés au véhicule électrique ou à l’autonomisation. Alors que depuis les années 1980, le coût de l’automobile par rapport au revenu moyen était sur une tendance baissière, la transition vers le véhicule électrique renchérit le coût des véhicules (+30 %). Même avec des prêts traditionnels, il devient difficile pour les classes moyennes d’accéder à la possession. Et donc aux constructeurs de vendre ces véhicules en direct.

 

Un service de mobilité mensualisé

La vente d’un service de mobilité mensualisé sera vrai- semblablement la norme sur les marchés matures. Et les constructeurs ont leur mot à dire.

Ainsi, comme le font les loueurs longue durée ou les constructeurs Premium depuis de nombreuses années (qui ont compris que les véhicules Premium étaient difficilement accessibles en masse à l’achat comptant), la vente d’un service mensualisé sera vraisemblablement la norme sur les marchés matures. C’est déjà le cas pour près de la moitié des véhicules vendus en France en 2022, mais cela va encore progresser. Et en analysant bien, entre la valeur résiduelle réelle, les coûts d’entretien et l’assurance, il n’y a plus que l’aspect psychologique (l’engagement) pour privilégier l’achat propriétaire. La difficulté de financement de la totalité du véhicule électrique va donc encore accélérer cette tendance.

Les constructeurs n’ont pas le choix de devenir incontournables sur ce marché, car le risque serait d’être « intermédiés ». Aujourd’hui, le réseau de distribution est aux couleurs de la marque, mais si ce n’est plus le cas, l’intermédiaire favorisera les ventes des marques pour lesquelles il a le plus d’intérêt financier. Et le constructeur devra proposer des rabais pour être mis en avant, ce qui grèvera sa rentabilité. Comme l’ont été les fabricants d’équipement électroménagers, qui ont vu leurs marges baisser au profit des chaines de distribution (en magasin, puis en ligne).

Mais les constructeurs disposent d’une arme différenciante : l’image de marque, qui est encore très forte et qu’ils peuvent mettre en avant et utiliser pour contrer les nouveaux entrants. « Qui mieux que Renault peut entretenir votre Renault ? ». À l’avenir, qui mieux que le constructeur pour vous louer un véhicule, organiser les réparations le cas échéant, les changements de véhicules pour les vacances et la proposition d’un nouveau véhicule.

Pour être performant financièrement, et ainsi rendre peu intéressantes les offres des intermédiaires, le constructeur devra internaliser la chaine de valeur de la gestion de la flotte automobile, mais également valoriser les différentes vies du véhicule et son démantèlement. Cela va dans le sens des initiatives des constructeurs ces dernières années qui ont racheté des sites de vente d’occasion, ou annoncé la mise en œuvre d’usines de recyclage.

En générant du revenu non seulement sur la vente du véhicule neuf (en vente directe ou en location), mais aussi sur ses vies successives (3-6 ans, 6-9 ans…) jusqu’à la sortie du véhicule du parc roulant, les constructeurs pourront générer des revenus additionnels qui permettront de proposer des prix concurrentiels pour la première utilisation.

Mais attention, car l’organisation nécessaire pour gérer ces flottes est importante et nécessite un suivi très précis, notamment des valeurs résiduelles et des coûts complets, depuis la fabrication dans les usines jusqu’à la revente du véhicule d’occasion. Et gare à ceux qui voudront gonfler les volumes de production en proposant des mensualités attractives. Si la revente en occasion ne suit pas, ou oblige à des prix cassés, ce sera la catastrophe vécue par certains constructeurs de luxe il y a quelques années.

 

Un « business model » complet et intégré

Le « business model » des constructeurs tend à devenir complet et intégré, depuis la fabrication jusqu’au démantèlement en passant par l’énergie et l’approvisionnement en métaux.

Il y a encore quelques années, les constructeurs indiquaient ne pas vouloir fabriquer de batteries car cela était du ressort de leurs fournisseurs traditionnels. Ils conservaient une approche de maitrise d’ouvrage et d’assembleurs. Mais cela a totalement changé depuis cinq ans avec des constructeurs qui deviennent fabricants de batteries au travers de joint-ventures, mais aussi qui sécurisent des approvisionnements en métaux avec des accords passés auprès des industriels miniers. Les batteries remplacent ainsi le moteur thermique dans le différenciant technologique propre à chaque constructeur.

La recharge des véhicules est aussi un élément clé permis par la transition énergétique. Sans elle, il ne serait pas pensable que des industriels du secteur proposent des solutions énergétiques. C’est pourtant ce qu’ont fait BMW, Mercedes, Volkswagen et Ford, rejoints par d’autres constructeurs pour proposer un service de rechasrge rapide sur autoroute. Tesla l’avait com- pris, son réseau de superchargeurs propriétaire premium a été un élément clé de sa réussite, tout comme la maitrise de la technologie des batteries et des moteurs électriques.

Cette approche intégrée est aussi valable pour le démantèle- ment des véhicules. Les normes liées à la fin de vie des batteries deviennent drastiques et onéreuses. À cela s’ajoute que les batteries, même anciennes, conservent une valeur élevée du fait des métaux qu’elles contiennent. D’autant plus avec les coûts des métaux qui augmentent. En sécurisant l’approvisionnement en métaux, via un sourcing direct et un sourcing issu du recyclage, les constructeurs bâtissent un business model basé sur l’entièreté de la vie des véhicules. C’est aussi cette transition vers un modèle intégré qui impacte à la hausse les coûts des véhicules actuels avec des investissements nécessaires importants.

 

Le rôle de la data

La data est annoncée comme centrale dans la performance économique, mais les « business models » doivent être trouvés et confirmés.

Certains constructeurs ont annoncé des objectifs très ambitieux pour la monétisation de la donnée et les services connectés à l’horizon 2040.

S’il est évident que la donnée sera clé comme dans d’autres secteurs tels que la distribution, le « business model » ne semble pas encore identifié et des mythes subsistent. Il existe principalement deux types de monétisation de la donnée : l’utilisation des données utilisateurs pour la publicité ciblée (modèle Facebook, Google…) ou l’utilisation de la donnée pour optimiser le service (Amazon, Uber…).

L’utilisation du véhicule comme support à la publicité semble complexe en l’état et très lié au véhicule autonome. En effet, pour des véhicules non autonomes, le conducteur ne pourra pas être distrait par de la publicité et donc les publicités seront limitées. Quelques ordres de grandeur : Stellantis vend 6 millions de véhicules par an. C’est un marché de masse certes, mais sans commune mesure avec les médias digitaux et traditionnels. Facebook dispose de 2 milliards d’utilisateurs quotidiens et Google réalise 7 milliards de recherches chaque jour. TF1 qui dispose de 26 millions de téléspectateurs en moyenne chaque jour génère « seulement » un chiffre d’affaires publicitaire de 1,7 milliard d’euros, à rapporter aux 100 milliards de coûts de fabrication des véhicules de Stellantis.

La data « pour la publicité » serait ainsi liée à l’avènement du véhicule autonome qui pourrait aussi diffuser du contenu. Mais ce sera au mieux un revenu d’appoint car les coûts de fabrication des véhicules resteront élevés. Et les volumes d’audiences ne seront de toute façon pas aussi importants que pour les smartphones et les ordinateurs (d’autant que les utilisateurs de véhicules autonomes utiliseront toujours leur smartphone).

Par contre, l’utilisation de la donnée pour optimiser le service est déjà une réalité : les trajets avec Uber, Waze…, ou encore la maintenance connectée. Le véhicule pourra ainsi identifier les pannes probables à venir, prévenir le conducteur, prévenir le réseau (en gardant au maximum le propriétaire dans son giron). La donnée sera ainsi génératrice de valeur et sera un élément clé de la performance économique et la réponse à la concurrence.

La transition technologique actuelle (électrique, autonome, connectée) est un formidable accélérateur de changement pour cette industrie centenaire. De fabricants de moteurs et assembleurs de pièces, ils ont l’opportunité de devenir fournisseurs de services de mobilité, chimistes avec la batterie, diffuseurs de contenus dans le véhicule autonome, fournisseurs de services énergétiques (recharges), diffuseurs de contenus… Il leur faudra apprendre des nouveaux métiers, et les rendre performants économiquement au global. Cela nécessitera des convictions, des prises de risque et des actionnaires qui soutiendront cette vision sur le long terme. Mais avec leur puissance financière, leur image de marque et leur résilience (cf le Covid-19), ils ont toutes les cartes en main pour réaliser ce changement de « business model »

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