Blog | Les crédits carbone bleus comme moyen de conservation des océans


Aujourd’hui, le fait que les activités humaines entraînent un réchauffement climatique n’est plus un sujet : l’augmentation de la fréquence des phénomènes climatiques extrêmes (canicules, El Ni
ño) ou bien la pandémie de covid ces deux dernières années en sont de bons exemples. Un des mécanismes pour mitiger le réchauffement climatique consiste à faire de la contribution carbone, via l’achat de crédits carbone. Il est communément admis que l’acquisition de tels crédits peut se faire via la plantation d’arbres. Or, les forêts ne constituent pourtant pas la source avec le plus grand potentiel pour effectuer de la séquestration carbone : 55 % du CO2 capturé par photosynthèse chaque année dans le monde l’est par les océans. La conservation et la restauration des océans sont donc primordiales pour garder des conditions de vie acceptables sur notre planète.

 

Par Pierre-Emmanuel GUILHEMSANS-VENDÉ, Consultant R&D chez TNP Consultants.

 

Une très lente prise de conscience

Depuis le 21 mars 1994, la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) reconnait officiellement l’existence du dérèglement climatique et la responsabilité humaine dans ce phénomène. Cette convention a été depuis ratifié par 195 pays, appelés « Parties ».  En 1995, une réunion annuelle des Etats signataires de la CCNUCC est créée : la Conférence des Parties (COP). En 1997, le Protocole de Kyoto, visant la réduction des émissions de Gaz à effet de serre (GES) est signé lors de la COP 3. Il faut réduire les émissions de GES de 5,2% d’ici 2020 avec 1990 comme année de référence (pour l’UE, 8 %). L’UE a bien baissé ses émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) de 23 % entre 1990 et 2018 et donc dépassé son objectif… mais au niveau mondial, les émissions ont augmenté de 67 %. Ainsi, si théoriquement le phénomène est reconnu, en réalité la prise de conscience est lente et, malgré tous les mécanismes mis en place pour mitiger le réchauffement climatique, les émissions n’ont jamais cessé d’augmenter (cf Figure 1).

 

 

En 2015, lors de la COP 21, sont signés les accords de Paris. Ils visent une limitation du réchauffement global en dessous de 2°C, de préférence 1,5 °C. L’objectif du niveau net zéro d’ici 2050 est affiché, c’est-à-dire un bilan net d’émissions nul. Pourquoi limiter à 2°C d’augmentation, voire 1,5°C ? Il y a de multiples raisons à cette question, comme la limitation de la montée des eaux, de l’effondrement de la biodiversité, des phénomènes climatiques extrêmes… et de manière plus pragmatique, +2°C équivaut à une baisse de 0.2 à 2 % des revenus mondiaux chaque année d’après le rapport du GIEC de 2014. En 2006, Nicholas Stern avait déjà prévenu que le coût de l’inaction contre le réchauffement climatique coûterait 5 à 20 % du PIB mondial contre seulement 1 % pour celui de l’action !

Il faut donc réduire nos émissions de manière drastique et même faire en sorte d’être au niveau net zéro d’ici 2050 pour espérer limiter le réchauffement climatique en dessous de 2°C. On peut d’ailleurs noter que la baisse des émissions à consentir d’ici 2030 correspond à l’objectif mondial du Protocole de Kyoto : il faut réussir en 10 ans ce qui n’a pas pu être fait en 30 ans (avec une baisse annuelle correspondant à la baisse totale sur 30 ans) ! Autant dire que l’objectif est très ambitieux !

 

Quels sont les mécanismes pour mitiger le réchauffement climatique ?

Mais alors quelles sont les solutions existantes qui nous permettrait d’atteindre cet objectif ?

Pour répondre à la problématique, il existe actuellement 3 mécanismes globaux de réduction des émissions de CO2 :

  1. Les marchés du carbone

Deux types de marchés du carbone : les marchés de conformité (SEQE) et les marchés volontaires. Fit for 55 prévoit d’inclure les transports maritimes (3,3 %) et routiers (17 %) et le bâtiment (14 %) dans le SEQE à partir de 2025, ce qui ferait passer le pourcentage des émissions de l’UE couvertes par le SEQE de 45 % à 75 % environ.

  1. Les règlementations/initiatives nationales ou multinationales, hors SEQE

 Par exemple, au sein de l’UE, des objectifs de réduction des GES sont fixés effectivement pour les secteurs concernés par le SEQE mais aussi pour les secteurs hors SEQE.

 

Paquet climat Energie 2021-2030 (2014)   Paquet Fit for 55 (2021)
Émissions de GES de 1990 à 2030 – 40 % – 55 %
Part des Energies renouvelables en 2030 27 % 40 %
Consommation d’énergie primaire – 27 % – 40 %
Emissions GES secteurs SEQE de 2005 à 2030 – 43 % – 61 %
Emissions GES secteurs hors SEQE de 2005 à 2030 – 30 %   – 40 %

 

  1. Les « green bonds »

ll s’agit d’un emprunt obligataire émis sur les marchés financiers, par une entreprise ou une entité publique pour financer des projets de développement durable. Par exemple, la SNCF émet des green bonds pour financer l’achat de nouvelles rames ou l’entretien de rames existantes, le train étant 30 fois moins polluant que la voiture (60 fois pour l’avion).

Parmi ces 3 mécanismes, on va s’intéresser plus particulièrement aux marchés du carbone, et plus exactement aux marchés volontaires. Les marchés de conformité seront abordés dans un autre article.

 

Les marchés volontaires, levier de contribution accessible à tous

Les premiers marchés volontaires datent de 1996, à la suite du second rapport du GIEC mais ils décollent vraiment qu’en 2006, avec la création de labels volontaires.
L’objectif des marchés volontaires est de réduire les émissions de GES en proposant une alternative aux marchés de conformité, dont l’accès est restreint à un nombre limité d’acteurs. Cela est basé sur une démarche volontaire : il n’y a pas d’obligation et cela est accessible à tout le monde. Un seul mécanisme est utilisé : le financement de projets de contribution.

 

 

Ces projets peuvent réduire des émissions de GES (technologie plus efficace et/ou bas carbone, comme les bus à hydrogène) ou faire de la séquestration : par exemple, la plantation d’arbres, l’utilisation de CO2 comme fluide frigorigène ou l’enfouissement dans le sol. On peut retrouver l’ensemble des catégories de projets de contribution dans la Figure 2. Mais, au préalable, avant de pouvoir faire de la contribution et afin de respecter au mieux le principe ERC (Eviter, Réduire, Compenser), l’acheteur doit d’abord réaliser un bilan carbone de ses émissions de GES et mettre en place des actions pour réduire ses émissions de GES. Ensuite seulement, il sera légitime dans sa démarche de contribution : autrement, cela s’appelle du greenwashing (cf. Figure 3).

 

Le marché volontaire, avec plus de 3600 projets depuis ses débuts ne cesse de croître et plus particulièrement ces 3 dernières années. En 2021, la valeur annuelle du marché dépasse pour la première fois de son histoire 1 Md€ et culmine même à 1,985 Md€. Il faut remwWonter à 2008 pour avoir la 2ème plus grosse capitalisation, 2020 n’étant que 3ème.  Les taille et valeur cumulées du marché depuis ses débuts jusqu’à fin 2021 sont de 1,982 Gt d’émissions de GES évitées et 8 Md€, d’après Ecosystem Marketplace, le quart ayant été réalisé sur la seule année 2021 .

Dans ces projets de contribution carbone, l’unité utilisé est le crédit carbone : un crédit correspond à 1 t de CO2 équivalent. Le prix moyen du crédit carbone est de 4 € en 2021, soit 60 % plus qu’en 2020. Cette tendance à l’inflation du marché volontaire va très probablement continuer, voire se renforcer puisqu’il est prévu que d’ici 2025, la demande dépasse l’offre. Les projets les plus populaires sont en rapport avec les activités forestières et l’affectation des sols (cf Figure 2), correspondant à plus 46 % des volumes échangés et 67 % de la valeur du marché en 2021. Cependant, les projets d’énergie renouvelable montent en force depuis 2019, avec des volumes équivalents, voire supérieurs, et des prix augmentant fortement – +109 % de 2020 à 2021 –, là où ceux des activités forestières évoluent peu : +7 % de 2020 à 2021. La majorité des projets (65 % en 2021) correspondent à de la reforestation, de la restauration ou de la sauvegarde des forêts : on peut parler ici de crédits carbone verts. Ces crédits carbone se vendent, d’après Ecosystem Marketplace, à environ 5,80 € l’unité. En tant que particulier, ce type de crédit carbone est facilement accessible via plusieurs plateformes en ligne comme EcoTree, Olive Gaea, Coforest, MyTree ou encore 8 billions trees, à des prix néanmoins nettement supérieurs et variables (1,67 à 36 € par arbre et 11 à 36 € par crédit, selon l’essence d’arbre, sa géolocalisation et qu’il vive 20 ans ou 1 siècle et au-delà).

 

Les crédits carbone bleus, un marché à développer

Le marché volontaire, avec plus de 3600 projets depuis ses débuts ne cesse de croître et plus particulièrement ces 3 dernières années. En 2021, la valeur annuelle du marché dépasse pour la première fois de son histoire 1 Md€ et culmine même à 1,985 Md€. Il faut remwWonter à 2008 pour avoir la 2ème plus grosse capitalisation, 2020 n’étant que 3ème.  Les taille et valeur cumulées du marché depuis ses débuts jusqu’à fin 2021 sont de 1,982 Gt d’émissions de GES évitées et 8 Md€, d’après Ecosystem Marketplace, le quart ayant été réalisé sur la seule année 2021.

Dans ces projets de contribution carbone, l’unité utilisé est le crédit carbone : un crédit correspond à 1 t de CO2 équivalent. Le prix moyen du crédit carbone est de 4 € en 2021, soit 60 % plus qu’en 2020. Cette tendance à l’inflation du marché volontaire va très probablement continuer, voire se renforcer puisqu’il est prévu que d’ici 2025, la demande dépasse l’offre. Les projets les plus populaires sont en rapport avec les activités forestières et l’affectation des sols (cf Figure 2), correspondant à plus 46 % des volumes échangés et 67 % de la valeur du marché en 2021. Cependant, les projets d’énergie renouvelable montent en force depuis 2019, avec des volumes équivalents, voire supérieurs, et des prix augmentant fortement – +109 % de 2020 à 2021 –, là où ceux des activités forestières évoluent peu : +7 % de 2020 à 2021. La majorité des projets (65 % en 2021) correspondent à de la reforestation, de la restauration ou de la sauvegarde des forêts : on peut parler ici de crédits carbone verts. Ces crédits carbone se vendent, d’après Ecosystem Marketplace, à environ 5,80 € l’unité. En tant que particulier, ce type de crédit carbone est facilement accessible via plusieurs plateformes en ligne comme EcoTree, Olive Gaea, Coforest, MyTree ou encore 8 billions trees, à des prix néanmoins nettement supérieurs et variables (1,67 à 36 € par arbre et 11 à 36 € par crédit, selon l’essence d’arbre, sa géolocalisation et qu’il vive 20 ans ou 1 siècle et au-delà).

 

Les crédits carbone bleus, un marché à développer

Les crédits carbone verts sont ainsi ce qui est le plus développé et le plus connu du grand public au sujet de la contribution carbone, et souvent synonymes de greenwashing. Ils ne constituent pourtant pas la source avec le plus grand potentiel pour effectuer de la séquestration carbone : 55 % du CO2 capturé par photosynthèse chaque année dans le monde l’est par les océans, d’où la dénomination de carbone bleu.  De plus, les écosystèmes côtiers (mangroves, herbiers sous-marins et marais littoraux), tout en ne couvrant que 0,2 % de la surface océanique mondiale, stockent à eux seuls 46,9 % de ce carbone bleu dans les sédiments océaniques. Ces écosystèmes ont une vitesse de séquestration du carbone de 30 à 50 fois supérieure à celle des forêts. Néanmoins, à l’heure actuelle, le carbone bleu est sous-exploité avec seulement quelques projets issus de la protection des mangroves.

C’est dans ce contexte que la start-up BlueLeaf Conservation (BLC) , fondée par Lionel POURCHIER et Frédéric FAVRE et partenaire de TNP depuis avril 2022, intervient. BLC développe actuellement un projet pilote de suivi des herbiers de Posidonie sur la baie de Cannes en collaboration avec l’ONG Nature Dive (cette ONG plante des herbiers de Posidonie et participe à la sensibilisation et à l’éducation sur le sujet), la Collectivité de Cannes, la ville de Cannes et la Fondation de Cannes. L’idée est de pouvoir déterminer un modèle reliant hectares de posidonies avec tonnes de CO2 et d’homologuer cette méthodologie via le label bas Carbone. Entre 0 et 15 m, le suivi des herbiers peut se faire via satellites (au-delà, entre 15 et 40 m, problématique de luminosité). Par ailleurs, il y a un verrou scientifique sur le développement d’un outil de reconnaissance satellite généralisable (en fonction de la côte étudiée, il y aura une variation multifactorielle de l’image à analyser). La méthodologie homologuée via le label bas Carbone pourrait donner lieu à la délivrance de crédits carbone, constitués à 80 % de la protection de l’existant et de 20 % de restauration.

Il faut ainsi mobiliser et fédérer les parties prenantes pour assurer le financement de projets de conservation et de restauration des écosystèmes marins. Les entreprises privées mais aussi les Fonds Vert pour le Climat, les bailleurs de fonds internationaux, les Etats et les collectivités locales constituent ces potentielles parties prenantes. Pour le moment, les organisations et les gouvernements hésitent à s’engager à financer des projets de conservation marine en l’absence d’une méthodologie de bilan carbone claire et éprouvée. De plus, il n’y a pas de consensus sur un label volontaire unique qui permettrait de baisser les coûts de certification par effet de volume, et donc baisser le coût des crédits carbone bleus et les rendre plus attractifs. Lionel POURCHIER propose la création d’une plateforme en ligne, sous l’égide d’une nouvelle entité nommée EverSea, pour connecter les différents acteurs, encourager le financement de projets, faciliter l’obtention de crédits carbone certifiés et donner l’accès à des outils et méthodes de mesure des écosystèmes marins. D’une part, les ONG et les gestionnaires d’aires marines pourront trouver des services de surveillance des écosystèmes marins (combinaison de différentes techniques) et des services de certification de crédits carbone. D’autre part, les entreprises souhaitant atténuer leurs émissions de CO2 dans le cadre de leur politique RSE pourront compenser leurs émissions en achetant des crédits carbone bleus directement sur la plateforme et suivre de manière transparente les résultats des projets qu’elles financent grâce à ce mécanisme. Cette transparence de suivi sera garantie grâce à la technologie de blockchain.

Théoriquement, le mécanisme de contribution proposé par EverSea est vertueux et va dans le bon sens, en proposant de donner de la valeur monétaire à des écosystèmes jusque-là saccagés car considérés à tort renouvelables, infinis et sans intérêts. Dans la pratique, EverSea va devoir faire face à de nombreux aléas climatiques : l’acidification des océans, la montée des eaux, la recrudescence des inondations terrestres et des ouragans pouvant endommager les mangroves et les marais salants… Tous ces phénomènes vont mettre à mal la survie de ces actifs océaniques. Pour autant, il faut encourager la multiplication des entreprises de conservation et de restauration de la biodiversité terrestre et marine, en favorisant la pérennisation de leurs modèles économiques. Cela passera par une prise en compte du réchauffement climatique dans les financements par les banques et dans la gestion du risque par les assurances. En parallèle, les entreprises devront réduire leurs empreintes carbones en pilotant notamment leurs politiques ESG grâce à un prix interne du carbone ou en faisant des investissements verts, en passant par exemple par Time for The Planet avec ses dividendes climat.

 

Sources

 “Fit for 55” : un nouveau cycle de politiques européennes pour le climat », RPUE – Représentation Permanente de la France auprès de l’Union européenne, 15 juillet 2021.

 GIEC, « Changements climatiques : rapport de synthèse », 2014.

[ N. Stern, « The Economics of Climate Change: The Stern Review », oct. 2006.

 « Fit for 55 : la Commission européenne revoit l’ensemble de sa politique climat à l’aune de sa nouvelle ambition pour 2030 », Citepa, 15 juillet 2021.

 ADEME, « La compensation volontaire : démarches et limites », juin 2012.

 « Carbon Credit Projects & Transactions », Trove Intelligence. https://trove-intelligence.com

Ecosystem MarketPlace Insights Brief, « The Art of Integrity : State of the Voluntary Carbon Markets 2022 Q3 », août 2022.

 C. M. Duarte et al., « The role of coastal plant communities for climate change mitigation and adaptation », Nature Climate Change, 29 octobre 2013.

 L. Pourchier et F. Favre, « Site web Blue Leaf Conservation ». https://blueleafconservation.com/

17 février 2023
Pierre-Emmanuel Guilhemsans-Vendé Consultant

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