Optimiser conjointement les délais, les couts et l’empreinte carbone d’une supply chain

15 avril 2022

Un article de Olivier Gressin, directeur associé, TNP et Hubert Jesel directeur associé, TNP, paru dans le Crise énergétique et climatique : quelles stratégies innovantes ? »

On parle souvent de la prime au leader lorsqu’on évoque le lancement d’un nouveau produit ou d’un nouveau service. Chez TNP, nous considérons qu’il en est de même face au défi climatique et que la mise en œuvre d’une feuille de route zéro carbone va créer de nouvelles opportunités et de nouveaux marchés : les acteurs qui seront à même de relever ces challenges seront en mesure de prendre des parts de marché solides et d’attirer de nouveaux clients désireux de s’inscrire dans cette trajectoire.
Optimiser conjointement les délais, les coûts et l’empreinte carbone reste possible…jusqu’à un certain stade.

Parmi les éléments contributeurs, la supply chain est aujourd’hui un maillon important de l’empreinte carbone dans la plupart des secteurs industriels. C’est d’autant plus vrai si l’on considère l’empreinte carbone sur l’ensemble de la chaîne de valeur, depuis l’approvisionnement des matières premières jusqu’à leur transformation finale et leur utilisation. Tous les secteurs sont confrontés à des approvisionnements lointains nécessitant de transporter des composants, des sous-ensembles, de les stocker, de les distribuer jusqu’au retailer ou aux consommateurs finaux, sans oublier la gestion des retours, ou la juste production pour répondre aux attentes des clients… Au cœur du sujet résident les trois paramètres clés de la supply chain que chaque acteur cherche à optimiser de façon permanente : la réduction des délais, la maitrise des coûts et depuis quelques années, la réduction de l’empreinte carbone.

Bien que l’élément « coût » soit régulièrement évoqué par les acteurs comme principal frein à la réduction des émissions de carbone, au côté d’un manque de régulation mondiale pouvant générer des pratiques de concurrence déloyale, cet élément semble partiellement injustifié. En effet, plus d’un tiers des émissions pourrait être supprimé au travers de solutions existantes telles que le recyclage ou la circularisation des marchandises, l’utilisation d’énergies propres, la remise à plat des flux de marchandises… en disposant d’une vision étendue de la supply chain, c’est-à-dire, en y intégrant les fournisseurs de rang 1, 2 et 3, les partenaires et sous-traitants ou au travers de leviers opérationnels tels que l’optimisation des emballages ou de la densité des colis. Ainsi, chez TNP, nous sommes convaincus qu’entre un quart et un tiers de la trajectoire zéro carbone peut être atteint sans investissement.

Nous pouvons citer trois exemples concrets sur lesquels nous sommes intervenus.

  • L’optimisation des tournées de collecte pour un acteur de l’agroalimentaire : nous sommes parvenus à réduire de 28 millions de tonnes x kilomètres la distance parcourue par les matières premières vers les sites de transformation en revoyant les habitudes d’affectation de commandes, en adaptant à la marge les capacités de certains sites industriels afin de les rendre plus polyvalents et en optimisant le taux de remplissage des véhicules.
  • La refonte des flux de marchandises pour un laboratoire pharmaceutique : nous avons construit une vision étendue de sa supply chain en y englobant ses principaux partenaires (sous-traitants et fournisseurs) afin d’optimiser les flux de certains composants et matières qui effectuaient plusieurs fois le tour du monde avant d’être distribués en Europe et en Asie.

Ce type de démarche, lorsqu’elle est menée de façon collaborative, peut être extrêmement puissante car les leviers découverts sont parfois insoupçonnés quoiqu’évidents.

  • L’optimisation de la densité du packaging pour un acteur du luxe : nous sommes parvenus à accroître de 12 % la densité moyenne des palettes. En revisitant les pratiques d’emballage, depuis la conception du produit au sein de son emballage primaire, mais aussi la façon de grouper les articles, voire de constituer la palette et en utilisant des équipements de formatage des cartons à la dimension idéale, les résultats sont significatifs. Là aussi, les investissements sont minimes au regard des gains financiers à très court terme. Cette optimisation s’est accompagnée d’un redesign de la structure des emballages afin d’en supprimer certains composants qui obéraient le recyclage des cartons.

La refonte des modèles de production et distribution nécessite ensuite un trade-off entre coûts, délais et empreinte carbone mais le résultat peut rester globalement avantageux.

Une fois ces optimisations atteintes, il convient de réfléchir à des refontes plus profondes des modèles :

Intégration d’activité sous-traitée, passage d’un transport aérien à un transport maritime avec ses implications en termes de flexibilité de la supply chain ;

Relocalisation de certaines activités (« nearshoring » versus

« offshoring ») ;

Révision des modèles de distribution en privilégiant des flux directs au détriment des plaques régionales.

Sur ce second niveau d’optimisation, les entreprises doivent souvent arbitrer parmi les trois facteurs de performance de la supply chain.

Imaginons la refonte d’un modèle de distribution qu’on décentralise en repositionnant des stocks importants en région, rapidement disponibles pour le client final. Une partie des expéditions peut être transférée de l’aérien au maritime avec un gain carbone et un gain financier évidents. Qu’en est-il du délai ? Il est certes rallongé sur la partie maritime mais imperceptible pour le client final qui jouit de la forte disponibilité d’un stock local. En allant plus loin, le délai perçu par le client final est même amélioré à condition que la répartition entre maritime et aérien soit faite intelligemment avec un maritime chargé de convoyer les compléments de stock à plus de deux mois. Ainsi, l’entreprise améliore son bilan carbone, ses coûts et le délai perçu par le client.

Un autre exemple avec la relocalisation de certains sous-traitants vers des zones d’activité plus proches. En effet, l’augmentation des salaires dans la plupart des pays asiatiques, associée aux problèmes de ruptures récemment subis, à la protection de la propriété intellectuelle et à l’ex- plosion des coûts de transport, impliquent de repenser sa stratégie globale. Des options de «nearshoring» existent, permettant de rapatrier l’approvisionnement de certaines pièces ou services sur des distances plus courtes, permet- tant de réduire les délais et l’empreinte carbone avec un impact sur les prix de transformation très limité.

À partir d’un certain stade, la décarbonation va nécessiter des investissements particulièrement élevés.

Décarboner de manière efficace nécessite une réelle approche end to end, ce qui est difficile puisque les supply chains sont naturellement fragmentées avec une visibilité limitée sur les maillons de la chaîne amont, ce qui ne permet qu’un

pilotage partiel. Les options prises par les derniers maillons aval peuvent impliquer des émissions de carbone plus ou moins importantes sur les premiers maillons mais le bilan précis n’est pas facile à dresser. Toute amélioration de visibilité per- mettra un gain global important en matière de bilan carbone de l’ensemble de la chaîne. Chaque maillon doit éduquer, fixer des standards et aider les maillons amont à atteindre leurs objectifs carbone. Un re-design to green des produits est une démarche pertinente à engager autant que possible, ou sinon au moins, un sourcing de proximité.

En s’intéressant aux derniers maillons davantage visibles sur lesquels on peut avoir un impact direct, la décarbonation nécessite la mise en œuvre de mesures coûteuses, en parti- culier sur l’industrie et les transports fortement émetteurs de carbone. Le passage à des émissions fortement réduites va nécessiter des investissements assez élevés et cela d’autant que les technologies disponibles à ce jour ne sont pas encore mûres : hydrogène pour la production d’acier, les carburants verts pour l’aviation et le transport maritime, les véhicules électriques pour la logistique urbaine en forte croissance et surtout l’électrification de l’ensemble des voies terrestres qui doivent proposer de manière cohérente des recharges, voire rapides. Même si le prix des nouvelles technologies baisse, il est probable qu’elles restent plus chères que les technologies dites classiques et les investissements à envisager (Capex) sont énormes.

Donc prix accru pour certains produits et pour leur logistique, en particulier compte tenu des exigences du e-commerce et des contraintes urbaines. Mais une proportion significative de consommateurs dans les pays occidentaux est de plus en plus ouverte à un surcoût à condition d’avoir des produits « durables ». Le surcoût est faible eu égard aux conséquences très favorables sur l’environnement. Le logisticien doit pour- suivre son rôle d’éducation des clients par exemple en affichant le coût de l’empreinte carbone d’une livraison rapide plutôt que d’une livraison classique (qui optimise les capacités) en quantifiant l’impact sur l’environnement.