Quelles stratégies face aux changements climatiques ?

15 avril 2022

Un article de Ameni Ammari consultante TNP, Adrien Bourbon consultant senior TNP, Romain Dagallier consultant senior TNP, Louis Goulaieff consultant TNP paru dans le Crise énergétique et climatique : quelles stratégies innovantes ? »

Atténuer ou s’adapter ? Au cœur des débats de la COP26, ces deux politiques face au changement climatique se télescopent dans les discussions entre pays. Une politique d’atténuation tend à promouvoir les activités visant à « stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique » (ADEME).

En d’autres termes, c’est la lutte contre le changement climatique par la réduction de GES dans l’atmosphère. De son côté, une politique d’adaptation vise à « limiter les impacts négatifs du changement climatique et d’en maximiser les effets bénéfiques » (ADEME). Soit les activités visant à « résister » au changement climatique, dont les effets se font déjà sentir, comme en témoignent le dôme de chaleur canadien de l’été 2021 ou la magnitude croissante des ouragans ces dernières années. Géographiquement immobiles, ou presque, les pays doivent composer avec ces deux politiques. En revanche, les entreprises, dont l’agilité n’est plus à prouver, sont amenées à prendre en compte le facteur climatique dans leur stratégie et à peser le pour et le contre entre atténuation et adaptation

De nouveaux éléments dans l’équation économique des entreprises

Les avancées en termes de modélisation climatique permettent aujourd’hui de déterminer les impacts du changement climatique sur des zones très précises. Les entreprises sont en mesure de savoir quels sont les risques inhérents au changement climatique dans chacune de leurs localisations… et quels seront les coûts engendrés. Des coûts encore accentués lorsque l’on considère l’ensemble de leur chaîne de valeur, dans un contexte où les supply chain sont déjà mises à mal.

Le cadre règlementaire et fiscal mondial est aussi en passe de changer la donne pour les entreprises. La réduction des gaz à effet de serre est au cœur des nouvelles règlementations qui vont lourdement impacter les entreprises les plus émettrices. Taxe carbone à l’importation, obligation de transparence des émissions de gaz à effet de serre (GES) des entreprises sur toute leur chaîne de valeur (Scopes 1, 2 et 3), subventions pour les projets bas carbone… Dans tous les pays, les projets de loi émergent et les mesures sont adoptées pour atteindre les objectifs ambitieux des Accords de Paris.

La transformation de la demande va aussi jouer un rôle fondamental dans les futures stratégies d’entreprise : les consommateurs des pays développés s’orientent de plus en plus vers des produits fabriqués localement. La provenance des produits joue maintenant un rôle dans le choix d’achat des clients, nouveau paramètre à prendre en compte pour des multinationales qui ont eu tendance à délocaliser leur production loin de leurs marchés.

Lorsque l’on regarde de plus près les projections du GIEC et des autres organismes faisant l’étude des risques physiques climatiques, force est de constater que ce sont principalement les pays dans lesquels les grandes multinationales occidentales ont délocalisé leur production qui seront les plus touchés par les effets du changement climatique. Investir pour s’adapter où elles sont implantées ou plier bagage et se rapprocher de leurs marchés, où l’impact sera moins fort : quelle stratégie pour les entreprises ?

 

La réindustrialisation comme stratégie attractive…

Se rapprocher de ses marchés semble être une stratégie gagnante pour les grandes entreprises car nombreux sont les arguments qui desservent les politiques d’adaptation.

Choisir de s’adapter, c’est investir massivement dans les rénovations ou constructions : des projets qui durent des années et doivent anticiper les évolutions à venir dans les vingt à trente prochaines années.

Ces investissements amoindrissent les capitaux qui pourraient financer des projets d’atténuation de plus grande ampleur.

Aussi, relocaliser représente une opportunité de taille pour les entreprises. C’est l’occasion de rebattre les cartes des panels de fournisseurs dont le nombre et l’opacité d’information sur les conditions de production représentent un risque d’image et d’approvisionnement. Plus ambitieux encore, c’est l’occasion de revoir tout un processus de production qui est encore très demandeur en main d’œuvre et dont les matières premières requises sont celles que les taxes vont cibler du fait des émissions induites. C’est enfin l’occasion de montrer patte blanche auprès des consommateurs en apportant une transparence quasi-totale sur la constitution des produits et les conditions de travail dans lesquels ils sont produits. Rapprocher la production de ses consommateurs est aussi un moyen efficace d’éveiller l’attention des citoyens sur l’impact écologique de leur consommation. En France, cette tendance est à la hausse : en 2015, neuf entreprises relocalisaient leur production, elles étaient dix-neuf en 2017 et trente en 2020.

 

…mais qui ne se réalisera pas sans tenir compte de toutes les parties prenantes

Les collaborateurs sont une pierre angulaire de la stratégie de relocalisation pour embaucher la main d’œuvre nécessaire à ses opérations. D’une part, l’entreprise doit adapter son appareil productif à la main d’œuvre locale : la tension du marché de l’emploi en France sur les employés d’usine est telle qu’il serait difficile d’envisager la relocalisation d’une entreprise industrielle qui n’intègre pas un fort taux de robotisation dans ses activités. D’autre part, ce nouvel acteur du marché local doit afficher une réelle transparence de ses conditions de travail pour être attractif : le travail en usine aujourd’hui n’est pas le même qu’il y a 40 ans, mais ce n’est pas gravé dans les mentalités, qui ne connaissent le travail en usine que par les récits dénonciateurs de leurs aïeux.

Les citoyens jouent aussi un rôle déterminant dans la relocalisation des entreprises. En effet, relocaliser sa production à côté des riverains ne rime pas toujours dans les esprits avec l’objectif de réduire les émissions de GES. Au contraire, la perception de la pollution est plus proche, et à cela s’ajoute l’augmentation du traffic et la pollution sonore. C’est dans une concertation entre citoyens et industriels qu’une relocalisation pourra être opérée, pouvant donner lieu à de nouveaux modèles d’entreprises localement intégrés.

Enfin, les clients apporteront la confirmation ou l’infirmation de la viabilité du modèle et devront être regardés avec la plus grande attention. Premièrement, la relocalisation va générer une hausse des prix des biens vendus par les entreprises pour rentabiliser les investissements et absorber les coûts de production accrus. L’effort proviendra aussi du portefeuille du consommateur qui consentira à payer pour un bien produit localement. Ce sera alors encore une histoire de compromis avec l’industriel car un consommateur n’est pas prêt à doubler son prix d’achat pour le même bien, produit en local ou non. Nous verrons donc une modification des gammes de produits proposés par les industriels : à plus haute valeur ajoutée, plus durables, plus réparables, moins énergivores, …

En conclusion, les contraintes qui pèsent sur les multinationales se multiplient : elles peuvent provenir du climat, des consommateurs, des états, et bien d’autres sources. Par le passé, les entreprises ont toujours montré une agilité sans précédent face aux risques qui les menaçaient. Cependant, la contrainte climatique et le besoin d’atténuer leurs émissions rendent le travail des entreprises plus complexe car ce sont des indicateurs qui n’ont été que très peu pris en compte auparavant. Mais derrière la menace se cache aussi une opportunité : celle de créer un projet d’entreprise qui engage tous ses employés, ses dirigeants, ses clients, ses fournisseurs. C’est la condition de réussite de ce vaste projet de transformation : rendre désirable le changement pour toutes ses parties prenantes.