Reporting climat : dernière ligne droite pour le prochain grand défi de l’humanité orienté

25 novembre 2022

Un article de Thierry Langreney, fondateur de l’ONG « Les Ateliers du Futur », paru dans le Livre Blanc « Bâtir une Europe financière souveraine »

L’Humanité est à un moment charnière de son histoire.
Pour préserver les climats de nos générations futures, nous devons supprimer, d’ici 2030, 30 gigatonnes-équivalent CO d’émissions annuelles de gaz à effet de serre. Puis, entre 2030 et 2050, 30 gigatonnes supplémentaires, sachant que les dernières marches seront plus difficiles à gravir.

Les grands acteurs les mieux placés pour relever ce « challenge » sont, objectivement et aux yeux des citoyens de ce monde, les Entreprises. Elles réunissent en effet les trois conditions clés du succès :

  • Le pouvoir faire – les moyens financiers,
  • Le savoir-faire pour faire éclore, développer, puis déployer les nouvelles technologies de décarbonation massive,
  • Le vouloir faire – une dimension à dire vrai contrastée surtout selon la fibre du management et ses contraintes.

Pour cette raison, nous, Les Ateliers Du Futur (ADF), appelons de nos vœux la transparence complète, source de comparai- son et de différenciation à travers un reporting extra-financier orienté climat, prospectif et exigeant dans ce domaine. Trop de « greenwashing » détourne l’énergie des vrais sujets !

Le court délai qui nous sépare de 2030 exige une mobilisation forte et rapide des entreprises. Les ADF ont proposé dès 2021 dans cette optique un reporting simple et efficace visant à sécuriser les initiatives climat et le reporting associé par toutes les entreprises, le « Net Climate Liability framework ».

Il rassemble les questions clés de toute stratégie de décarbonation crédible :

  • Quelle trajectoire d’émissions de gaz à effet de serre, annuelle- ment jusqu’à 2030, puis, par jalons de cinq ans, jusqu’à 2050 ?
  • Quel programme d’actions pour décarboner les activités de l’entreprise dans toutes les géographies ?
  • Quels impacts financiers négatifs (investissements, charges supplémentaires, dépréciation d’actifs), mais aussi positifs (économies, revenus additionnels de clients, de crédits carbone…) de ce plan de transition ?
  • Quelle gouvernance pour concevoir, animer et contrôler une initiative stratégique aussi essentielle ?

À la suite de la COP 26, la Commission européenne, à travers l’EFRAG, et la fondation IFRS, à travers l’ISS board, est passée à la vitesse supérieure : en mars et avril 2022, leurs projets de reporting extra-financiers respectifs incluant un volet climat, ont été soumis à commentaires publics. Les ADF est l’une des deux seules ONG à avoir répondu aux deux appels à commentaires.

En synthèse :

  • Le projet de l’Europe porté par l’EFRAG intègre l’essentiel des quatre questions critiques ci-dessus et nous nous en réjouissons ! Mais, son volet climat s’insère dans un flot de demandes extra-financières d’une richesse extraordinaire qui peut, selon nous, disperser les ressources et diminuer l’attention managériale du sujet central qu’est aujourd’hui le climat.
  • La fondation IFRS est, de son côté, fortement sous in- fluence de la TCFD. Cette « task-force » américaine – présidée par Michael Bloomberg – a émis en 2017 des recommandations de reporting lié au climat au service de la sphère financière. Ce reporting se focalise sur les risques liés au climat auxquels est exposée l’entreprise d’une part, les opportunités que celui-ci présente pour son activité, d’autre part. Le plan de « transition » /décarbonation de l’entreprise est une demande supplémentaire récente et peu prescriptive de la TCFD. En 2021, seules 34 % des entreprises publiaient des objectifs de réduction de leurs GES ! Cette dimension est reprise de façon trop timide par l’ISS Board puisque nos quatre questions critiques ne sont pas réunies.

Outre cette faiblesse, le projet de reporting climat de l’ISSB fonde sa demande relative aux risques climatiques menaçant l’entreprise, dont les risques de réputation, de boycott… sur une auto-évaluation faite par son management. Ceci ne nous parait pas permettre une approche fiable, susceptible de fournir toutes les informations relatives à l’impact climat de l’entreprise.

Une passerelle permettant de réconcilier ces deux approches pour l’instant concurrentes nous parait possible afin de :

  • Compléter les projections demandées par l’EFRAG par un indicateur de robustesse économique de nature à qualifier la crédibilité de toute trajectoire,
  • Consolider l’approche des risques financiers auxquels le climat expose l’entreprise et qui intéresse prioritairement les parties prenantes financières de la Fondation IFRS.

Nous pensons possible de réclamer pour chacun de ces reportings « transatlantiques » les demandes critiques vues plus haut qui caractérisent tout projet de transition vers la décarbonation, un indicateur de synthèse, l’actualisation des cash-flows futurs positifs ou négatifs liés à la trajectoire centrale de ce plan de transition.

Cet indicateur synthétique, que nous avons baptisé – libre de droits – « Net Climate Liability », représente, sans alimenter un quelconque plan comptable, la valeur actualisée des engagements et revenus futurs. Il fournit donc une double indication à la fois de la crédibilité du plan de transition et à la fois des risques de dérapage financier auxquels sont exposés investisseurs et prêteurs.

Rien de grand ne se fera sans efforts… soutenables et mesurables !