Vers de nouveaux modèles énergétiques

Un article de Antoine Huard, co-fondateur et directeur général, Verso Energie  paru dans le livre blanc « Comment accélérer la transition énergétique ? »

La vocation de Verso Energy est de contribuer à la faisabilité d’un mix énergétique comportant une forte proportion d’énergies renouvelables. Fondée en 2021, Verso Energy développe, finance et exploite des installations de production d’énergies renouvelables pilotables, des installations de stockage d’électricité pour la fourniture de services aux réseaux électriques et des installations de production d’hydrogène décarboné.

 

Les nouveaux modèles

Le GIEC l’a récemment rappelé : face à la crise climatique, la transition énergétique revêt un caractère d’urgence. S’il est désormais assez largement admis que nous devons réduire nos émissions de CO jusqu’à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, plusieurs visions s’affrontent quant à la meilleure façon d’y parvenir. Entre deux voies radicales, la décroissance forcée d’une part et le pari techno-solutionniste d’autre part, se dessine un chemin étroit mais encore possible : déployer rapidement et massivement les moyens de production d’énergie non-carbonée déjà à notre disposition afin de décarboner notre économie sans pour autant cesser de produire l’énergie indispensable au fonctionnement de nos sociétés modernes, au maintien de nos modes de vie, à la pérennité d’une cohésion sociale.

Ce chemin étroit suppose une profonde remise en question des modèles énergétiques actuels. L’ampleur de tels bouleversements peut conduire les acteurs établis (grands énergéticiens, industriels, opérateurs de réseaux, etc.) à promouvoir une progressivité de la transition au nom du risque de destruction de valeur. Cela passe par exemple par la prolongation des actifs existants, ou par un travail d’in- fluence pour qualifier certaines énergies fossiles « d’énergies de transition », au risque de passer à côté des transformations à l’œuvre, à l’image des cas d’école bien connus que sont Kodak ou le Minitel. A contrario, ces bouleversements peuvent générer de nouvelles opportunités, créer des emplois, et accélérer la décarbonation, à condition de mettre en œuvre des nouveaux modèles « disruptifs » capables d’accompagner le déploiement très rapide de moyens de production décarbonés en dépit des contraintes qu’ils soulèvent (intermittence, acceptabilité, etc.).

 

La souveraineté

Si la transition vers ces nouveaux modèles est une réponse à la crise climatique, elle ne saurait se faire au prix du sacrifice de notre indépendance énergétique. Parce qu’elles nous affranchissent des combustibles fossiles importés, les énergies renouvelables peuvent contribuer à notre souveraineté. Mais depuis plusieurs années, nous avons laissé s’installer une situation de dépendance vis-à-vis d’acteurs étrangers, en particulier sur la fabrication des cellules solaires photovoltaïques essentiellement localisée en Asie. La quasi-totalité des leaders mondiaux dans le domaine sont des groupes chinois, ce qui constitue un facteur de fragilité dans les chaines d’approvisionnement. Mais ce n’est pas une fatalité : nous avons fait le choix de laisser nos industriels démunis face à cette concurrence et nous pouvons aujourd’hui faire le choix in- verse, rendu possible par l’ampleur de la demande mondiale : en 2022, plus de 200 GW de panneaux solaires ont été installés dans le monde en une seule année, ce qui est considérable quand on songe que la capacité cumulative totale en service il y a 20 ans était de 2GW. Une telle croissance des volumes, associée à la fulgurance des innovations technologiques, permet de rebattre les cartes et d’ouvrir la voie à une relocalisation des activités industrielles de la transition énergétique dans notre pays.

C’est d’autant plus vrai que la France devrait être au premier rang en matière de décarbonation de l’énergie. Elle dispose d’atouts historiques, avec l’électricité bas carbone issue du nucléaire et de l’hydroélectricité, mais aussi d’un immense potentiel pour devenir un leader dans le domaine des énergies renouvelables : des gisements éoliens et solaires favorables, un réseau électrique de qualité, ou encore une avance dans le développement des leviers de flexibilité de la demande (tarification horo-saisonnière par exemple) qui sont aussi utiles pour palier la variabilité des renouvelables qu’ils ne l’étaient pour palier l’inertie du parc nucléaire. La France devrait considérer la transition énergétique comme une formidable opportunité pour développer de nouvelles filières dans le stockage, dans l’hydrogène… Et pourtant, sans doute guidée par un réflexe protecteur de son modèle historique, elle accuse un retard grandissant dans cette double course à la souveraineté et à la décarbonation.

 

Les innovations

Les bouleversements actuels dans le monde de l’énergie sont rendus possibles par des innovations parmi lesquelles on peut distinguer trois grandes familles.

En premier lieu, on distingue les innovations technologiques, par exemple l’emploi de nouveaux procédés chimiques dans le domaine des batteries électriques, l’utilisation d’alliages plus performants pour la conception des cellules solaires, ou encore la mise au point de solutions pour réduire la consommation d’eau des électrolyseurs.

De nouveaux modèles d’affaires voient le jour : l’autoconsommation se déploie massivement comme réponse à la crise énergétique, l’hybridation de centrales solaires avec des moyens de stockage par batterie améliore l’adéquation offre/demande et permet aux producteurs de ne plus seulement vendre de l’électricité mais également des services aux gestionnaires de réseaux – comme le réglage de fréquence pour contribuer au bon fonctionnement de l’ensemble du système électrique.

Enfin, ces mutations sont accompagnées par des innovations dans les domaines réglementaires, juridiques et financiers. Le cadre se transforme pour s’adapter à des objets nouveaux qui pouvaient, jusqu’à encore très récemment, être juridique- ment non identifiés : centrales solaires flottantes, fermes agri- voltaïques, etc. Les contrats de vente d’électricité (« Power Purchase Agreement » ou « PPA ») viennent progressivement se substituer aux mécanismes de tarifs d’achat garantis, et permettent à un parc solaire en Occitanie de fournir en électricité des clients situés dans les Hauts de France – opération qui peut sembler banale aujourd’hui mais qui, il y a quelques années, eût été impossible. Véritable couverture contre les fluctuations des prix de l’énergie, ces contrats de long terme offrent aux industriels une électricité au coût maitrisé et prévisible : un atout précieux face aux incertitudes actuelles.

 

Le financement

La transition énergétique est souvent présentée comme un effort financier important, un arbitrage en faveur du climat au détriment de la rentabilité financière, voire une activité non finançable sans subventions publiques. Il convient de nuancer fortement cette perception.

En premier lieu, de nombreux pans de la transition énergétique sont aujourd’hui viables sans subventions. C’est le cas notamment des principaux moyens de production d’électricité renouvelable (parcs solaires, parcs éoliens). Il est vrai que les actifs associés nécessitent souvent un déploiement de capital très significatif – mais de telles opérations n’en sont pas moins pertinentes sur le plan financier, à la fois pour l’investisseur et pour le consommateur de l’électricité. Les énergies renouvelables sont rentables et d’autant plus prisées par les institutionnels, fonds de pensions et assureurs, qu’elles présentent le plus souvent un risque très maitrisé et offrent des retours sur investissement pendant une longue durée avec une excellente visibilité, grâce aux contrats de long terme. En formalisant un accord entre acheteurs et vendeurs qui consentent à s’offrir une visibilité mutuelle, ces contrats permettent aux producteurs d’obtenir de meilleures conditions de financement, améliorant d’autant la compétitivité de l’électricité. Allant du simple PPA aux mécanismes contractuels plus sophistiqués comme les « Contract for Difference », ces contrats peuvent être assortis d’outils de rehaussement de crédit (garanties, assurances) pour optimiser encore davantage les conditions de financement.

Ensuite, pour tous les investissements de transition qui demeurent moins rentables que l’alternative historique, trois pistes peuvent être explorées :

La mise en place d’un prix du CO2, d’une part, afin de créer un espace de viabilité économique pour des activités contribuant à la décarbonation. Mais l’efficacité de ce mécanisme suppose une application équitable à l’échelle mondiale pour éviter les « fuites de carbone », ce qui n’est pas acquis.

Les subventions, d’autre part, pour aider les entreprises à financer le surcoût lié à la conversion de leurs procédés ou l’utilisation de carburants de synthèse, par exemple. Mais l’état des finances publiques offre peu de marges de manœuvre et conduit à privilégier, autant que possible, la mise en place d’outils de garantie pour faire levier sur les financements privés, plutôt que l’usage massif de subventions.

Enfin, il s’agit de répartir le coût de la transition en faisant supporter l’essentiel de l’effort aux segments de la chaine de valeur dans lesquels ce coût additionnel est absorbable. Par exemple, les carburants durables (en particulier de carburants de synthèse) peuvent se négocier selon un prix au litre 3 à 5 fois supérieur au prix du carburant traditionnel. Mais lorsqu’une compagnie aérienne répercute ce surcoût sur les passagers, il se limite à quelques dizaines d’euros par siège selon la distance du vol. De même, l’acier décarboné peut être mis sur le marché à un prix environ 40 % supé- rieur à celui de l’acier traditionnel. Mais lorsqu’un fabricant automobile décide d’utiliser cet acier vert, le surcoût est de l’ordre d’une centaine d’euros pour une berline.

L’utilisation coordonnée de ces différentes pistes peut ouvrir la voie au financement d’actifs pourtant non viables sur le papier, mais suppose une articulation fine entre l’initiative privée et l’action publique, condition certainement incontournable de l’accélération de la transition énergétique

Actualités liées