Covid-19 : un facteur bloquant face à la protection des données au Brésil ?

07 avril 2020

À près de 130 jours de l’entrée en vigueur de la Loi Générale sur la Protection des Données (LGPD), le bouleversement causé par la pandémie Covid-19 accélère les discussions autour de son application.

Depuis l’approbation de la LGPD, en août 2018, de nombreux débats ont eu lieu concernant le délai accordé aux organisations concernées pour s’y conformer. Outre l’inertie du pouvoir exécutif brésilien dans la création d’une autorité de protection des données, la crise provoquée par l’épidémie de coronavirus a renforcé les discussions sur la date d’entrée en vigueur de la loi face à l’état d’urgence sanitaire. Malgré des avis partagés sur le sujet, le Sénat brésilien a approuvé, le 3 avril dernier, le report de l’application de la loi, initialement prévue pour août 2020. Selon le projet de loi N° 1.179/2020, renvoyé pour analyse par la Chambre des députés, la LGDP entrera en vigueur à partir du 1er janvier 2021, mais les sanctions prévues dans la loi ne seront applicables qu’en août 2021.

REPORT EN VUE DE L’APPLICATION DE LA LGDP

Les discussions sur le report de la loi ne datent pas d’aujourd’hui. En octobre 2019, une première proposition de report de la loi à août 2022 a été présentée devant le Parlement brésilien en raison, d’une part, de l’incapacité de réaction des organismes quant au respect des nouvelles règles imposées par la LGPD, mais également de l’absence d’autorité nationale de protection des données (ANPD) qui, jusqu’à ce jour, n’existe qu’en théorie.  À un an de l’entrée en vigueur de la loi, près de 85% des entreprises brésiliennes ne sont pas encore prêtes ; c’est notamment le cas des PMEs qui se trouveraient fortement impactées par les nouvelles exigences.

De plus, l’absence d’une autorité de contrôle capable d’accompagner les organisations affectées et de protéger les intérêts des individus concernés, compromettrait fortement l’efficacité de la nouvelle loi. Pourtant, dans le contexte de crise sanitaire en cours, la création d’une autorité de protection des données composée de spécialistes dûment préparés se fait de plus en plus pressante. Malgré cela, le pays se dirige vers une période d’incertitude pour les droits et libertés alors que se profile la récession économique ; autant de facteurs favorables aux manœuvres politiques.

LA PANDÉMIE COVID-19 ET L’ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE : UN TERREAU FERTILE POUR ENCOURAGER LA SURVEILLANCE DES INDIVIDUS

Les organisations de défense des droits civils sur Internet s’inquiètent du report de la loi surtout dans cette période d’exception. L’utilisation des données des téléphones portables pour surveiller les déplacements de la population sans que les règles de protection des données soient respectées soulèvent de nombreuses inquiétudes.  Quelques jours avant le vote du Sénat, le gouvernement brésilien a annoncé son intention de signer un accord avec cinq grands opérateurs de télécommunications afin d’avoir accès aux données des téléphones portables et de surveiller les mouvements des individus pendant la pandémie de coronavirus.  Des actions sont actuellement en cours contre le gouvernement, concernant la mise en œuvre d’un système de caméra à reconnaissance faciale dans les transports publics des grandes villes, ce qui pourrait toucher 3,7 millions de personnes quotidiennement. Dans ce contexte d’urgence, de nouveaux défis restent clairement sans réponse de la part des autorités publiques, notamment concernant la proportionnalité des mesures prises pour contrôler la crise. La mise en place d’un tel oasis de surveillance est facilité par le fait que les personnes ne connaissent pas les droits qu’ils ont sur les données les concernant.

#LGPDJA

Tandis que la question n’est pas définitivement tranchée par le Parlement, les opposants au report de la loi sont de plus en plus nombreux sur les réseaux ; des centaines d’experts militent pour l’application de la loi à partir d’août 2020, #LGPDja – qui se traduit par #LGDPtoutdesuite.

Le COVID-19 a bouleversé les relations sociétales comme rarement vu dans l’histoire de l’humanité. Plus que jamais, la protection des individus contre l’exploitation illégitime de leurs données personnelles est essentielle. Au Brésil comme en France, nous sommes en guerre contre le virus, mais cela ne devrait pas servir de prétexte aux politiciens pour renoncer à la loi sur la protection des données, seul garde-fou contre les risques de dérive vis-à-vis des droits et libertés.

URSULA CHAVES
CONSULTANTE, TNP

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