Humain, digital et les petites choses de la vie à la veille d’un déconfinement progressif

06 mai 2020

Il y a un peu plus d’un an, la Harvard Business Review publiait un numéro au titre évocateur « Créer du lien à l’ère de l’Hyperconnexion », avec comme sous-titre la « Nouvelle alliance entre l’humain et le digital ». Après des stratégies purement digitales, où la technologie occupait le centre des réflexions, l’Humain revient au centre de la scène et le digital est appréhendé non plus en tant que tel, mais au sein du couple Humain/digital. Par exemple, il ne s’agit plus simplement d’équiper les vendeurs de technologies pour en faire des « vendeurs augmentés », mais il s’agit de les accompagner afin qu’ils s’approprient les technologies, en voient les bénéfices et aient envie de les utiliser. Il ne s’agit plus de mettre des écrans dans les agences ou les magasins, par simple effet de mimétisme, mais de comprendre ce que le « phygital » peut véritablement apporter aux clients. Si le couple Humain/digital n’est pas encore un couple parfait, il pourrait le devenir…  La période que nous venons de vivre est probablement un accélérateur de cette nouvelle ère.

LE DIGITAL, VECTEUR DE DISTANCE SOCIALE ?

La distance sociale correspond à la proximité ressentie avec des proches par rapport à des personnes que nous ne connaissons pas.  Les technologies ont été considérées comme des vecteurs de distanciation sociale. Elles ont été l’objet de critiques car elles ont coupé les individus de leurs relations les plus importantes, créant un sentiment de solitude. Chacun dans sa bulle face à son écran à l’image de l’adolescent connecté avec ses « potes » dans sa chambre, coupé de ses parents, pourtant si proches géographiquement. Une bulle dans laquelle tout le monde ne peut rentrer et qui crée la fracture numérique. De même, les réseaux sociaux, aux antipodes de leur terminologie, ont été montrés du doigt quant à leur impact social. Une étude met en évidence qu’une activité soutenue sur Facebook (nombre de likes, mise à jour du profil, clic sur les liens) contribue à une baisse de la santé mentale déclarée et du bien-être de ses utilisateurs. L’orchestration d’une identité numérique et d’une exposition maîtrisée de soi sur les réseaux, dans une logique « d’extimité » et de comparaison sociale, rendrait ainsi l’internaute malheureux. Alors peut-on inverser la donne ? Peut-on imaginer que le digital se mette au service de l’Humain, reliant les Hommes entre eux ou n’est-ce qu’une utopie ?

QUAND LE DIGITAL SE MET AU SERVICE DE LA RELATION HUMAINE…

La manière dont les individus utilisent le digital comme vecteur d’interaction avec leurs proches (amis, famille) mais également la manière dont le confinement les a amenés/obligés à s’approprier le digital constituent autant de pistes de réflexion pour les entreprises.

Le digital, vecteur de rapprochement social

Dans la sphère privée, le digital permet de se sentir plus proche les uns des autres. Par exemple, un échange régulier sur les messageries instantanées ou sur les réseaux sociaux donne l’impression aux individus de se sentir plus proches. Mais encore faut-il être capable de sortir d’une logique autocentrée et d’orchestration de son identité numérique pour avoir la volonté de véritablement construire une relation de qualité. Et qu’est-ce qu’une relation de qualité ? C’est une relation forte qui se caractérise d’une part par un partage d’expériences et d’autre part par un lien positif et réciproque.

Le digital, vecteur de rapprochement physique

Le digital peut aussi être source de rapprochement physique entre individus, comme le révèlent deux thèses que j’ai eu le plaisir de diriger. Elles révèlent comment les écrans peuvent être sources de rapprochement physique entre parents et adolescents et générer ainsi de nouvelles sources de plaisir et de complicité. Parents et enfants, l’un à côté de l’autre autour de l’écran, l’écran devenant prétexte à un échange enrichi par le contenu proposé on-line. Et si la navigation sur Internet a toujours été considérée comme une navigation en solitaire, force est de constater que les navigations où l’on navigue à plusieurs, avec son conjoint, en famille ou avec des amis sont loin d’être des exceptions, et qu’elles peuvent générer du bien-être collectif.  Une autre façon de voir le digital…

QUAND LE DIGITAL PALLIE LA DISTANCIATION PHYSIQUE

L’expérience que nous vivons aujourd’hui a accéléré un processus qui aurait mis bien plus de temps à émerger. En période de confinement, le digital a joué un rôle essentiel : continuer à se voir. Les multiples apéro virtuels, rencontres virtuelles par Zoom et autres outils à la facilité déconcertante ont permis de pallier la distance géographique imposée par le confinement. Les échanges à distance par écrans interposés sont riches. Ils sollicitent le langage non verbal révélant les expressions du visage et le langage corporel. Ils facilitent la compréhension mutuelle et le partage des émotions.

QUAND L’ENTREPRISE SE FAIT PLUS HUMAINE GRÂCE AU DIGITAL

Ces habitudes et pratiques observées dans la sphère privée, préexistantes ou au contraire initiées ou renforcées par la crise sanitaire pour interagir autrement les uns avec les autres, constituent autant de sources d’inspiration pour les entreprises qui pourront :

  • Être un vecteur de rapprochement social, en permettant au personnel au contact de se rapprocher des clients. Il s’agit d’aider le personnel au contact à construire avec eux une relation de qualité, par un partage d’informations, de services et d’interactions utiles pour les clients et par la capacité à générer des interactions positives avec ceux-ci. Il ne s’agit plus de « pousser » du produit ou du service dans une relation purement transactionnelle, mais de créer « autre chose » à travers les multiples « touchpoints » à disposition (mail, centre de la relation client, réseaux sociaux…) dans une logique de conversation omnicanal.
  • Être un rapprochement physique entre le personnel au contact et les clients ou entre les clients eux-mêmes : puisque partager un écran rapproche, ce peut être évidemment une vente « en côte à côte » entre le client et le conseiller autour de l’écran (ce qui est compliqué en ce moment en période de COVID-19) mais ce peut être aussi la capacité à créer des sites Internet très innovants conçus non pas comme un espace de navigation en solitaire mais « de co-navigation ». Un espace inédit, où l’on offre aux co-internautes la possibilité de naviguer de manière agréable avec un proche, d’y acheter et de prendre des décisions ensemble. A un moment où « l’être ensemble » et le « faire-ensemble » redeviennent fondamentaux, inutile de dire combien un client pourrait être reconnaissant à une marque d’avoir conçu un tel espace de co-navigation et combien cela pourrait être fidélisant !
  • Être un palliatif à la distance géographique entre le personnel au contact et les clients. Durant cette période de confinement, et sous l’impulsion de technologies ultra-simples à utiliser, les individus ont pris de nouvelles habitudes de rencontres virtuelles par écrans interposés qui pourraient constituer autant de nouveaux leviers d’actions pour les entreprises. Et pourquoi ne pas citer cet exemple d’un magasin Petit Bateau avec son Call & Collect lancé en période de confinement ? Vous appelez une conseillère qui vous montre les produits sur écran, produits que vous pouvez ensuite venir chercher en magasin ou vous faire livrer. Certes, ces rencontres virtuelles ne sont pas nouvelles, et elles étaient déjà proposées avant le COVID-19 par certains acteurs, notamment les banques. Mais la crise que nous vivons pourrait être un accélérateur donnant à cette rencontre virtuelle, de nouvelles dimensions !

L’être humain est un animal social et à l’ère de l’hyperconnexion, il ne s’est jamais senti aussi seul. Comme le souligne le sociologue Maffesoli, les individus ont aujourd’hui un « évident besoin de communion » probablement provoqué par le fait « qu’à longueur d’année, chacun est derrière son écran, dans sa bulle ». En rapprochant les individus les uns des autres, l’entreprise se fait aussi plus humaine…  Merveilleux, levier de différenciation !

régine vanheems
RÉGINE VANHEEMS
AUTEURE

Actualités liées