Interview // Michel BILGER, Responsable régulation & supervision, Crédit Agricole

21 juillet 2021

LA REFORME BALE 4 S’EST FAITE SANS TROP D’ECOUTE DES BANQUES QUI ONT POURTANT ALERTE TRES TOT SUR LES CONSEQUENCES POTENTIELLEMENT LOURDES EN EUROPE DE CERTAINS CONCEPTS DE BASE QUI DEVAIENT CONDUIRE A L’ACCORD DE DECEMBRE 2017

La réforme Bâle 4 suscite toujours des débats animés car les enjeux financiers qui en résulteront seront majeurs, pour les banques et pour l’économie européenne.

Les banques ont très tôt tiré la sonnette d’alarme sur certaines faiblesses inhérentes à Bâle 4. Elles ont pour cela contribué scrupuleusement aux différentes consultations mais il faut avouer que leurs réponses ont souvent été mises tout simplement sur la touche.

Le mécanisme de l’output floor, cœur du sujet Bâle 4 (plus de 50 % de son impact négatif), en est l’exemple illustratif le plus flagrant.

Dès 2015, les banques ont alerté sur les problèmes inhérents à l’output floor et réclamé a minima des analyses complémentaires.

Les papiers de consultation du Comité de Bâle sur les différents pans de réforme envisagés ont eu lieu à partir de la fin 2014. La profession bancaire a alors rapidement réagi pour tirer la sonnette d’alarme sur les faiblesses de ce dispositif.

Ces réponses restent visibles sur le site du BCBS et en voici certains extraits :

  • FBE : L’ajout d’une dimension floor pourrait donner une illusion de comparabilité mais cela n’enrichira pas la compréhension des parties prenantes. Au contraire, les floors déformeront le sens de certaines des mesures. L’introduction d’un cadre d’un floor de fonds propres pourrait entraver les mesures s’il devenait contraignant car la comparaison entre les modèles IRB ne reflétera plus les pures différences entre les profils de risque.
  • EACB : L’introduction de floors pourrait exacerber les distorsions de concurrence, par exemple entre les banques américaines et les banques européennes. L’impact qu’un floor sur le risque de crédit aurait sur les prêts immobiliers pourrait entraîner un préjudice grave pour le financement hypothécaire en Europe par rapport aux États-Unis. En effet, selon Moody’s, près des deux tiers du risque sur les prêts hypothécaires en cours sont supportés par les contribuables américains à travers la garantie fédérale de Fannie Mae et Freddy Mac. Par conséquent, si les floors avaient des effets limités sur les banques américaines et le financement du logement aux États-Unis, ils impliqueraient des conséquences majeures pour les banques européennes et l’économie européenne.
  • ESBG : Les approches normalisées n’aboutiront pas à des mesures de risque cohérentes et comparables, surtout lorsque l’on compare les pondérations de risque calculées sur les expositions dans différentes juridictions. Les fonds propres fondés sur les approches standardisées peuvent donner une fausse impression d’exactitude et de fiabilité. En réalité, ils pourraient introduire l’arbitraire dans le cadre d’adéquation des fonds propres. Les expositions de crédit comme par exemple les expositions immobilières résidentielles, dans des pays comme l’Allemagne, la France et la Suède, d’une part, et les États-Unis, d’autre part, ayant un certain LTV (par exemple 70 %) seront considérées comme présentant le même risque de perte bien que les modèles de perte historiques pour les expositions immobilières résidentielles dans ces pays racontent des histoires complètement différentes.

Le Comité de Bâle justifiait l’introduction du dispositif d’output floor par l’iniquité des exigences de fonds propres, les nouvelles règles du jeu devant les rendre plus équitables entre banques standardisées et les banques utilisant des modèles internes. Le Comité de Bâle s’occupant des grandes banques internationales actives, y avait-t-il beaucoup de banques sous son giron qui utilisaient encore des méthodes standards et qui devaient ainsi être protégées ? En France en tout cas, le superviseur enjoignait aux banques nationales de lui produire un calendrier dit de roll out pour couvrir à un horizon court terme l’ensemble de leurs activités sous les méthodes modèles internes jugées à juste titre bien plus fiables.

L’idée en tout cas était de réduire le bénéfice résultant de l’utilisation de modèles internes par une surcharge en capital pesant sur ces mesures.

LOIN D’AMELIORER LES CHOSES, LA REFORME BALE 4 A EMPIRE LORS DES NEGOCIATIONS FINALES ENTRE ÉTATS

Il a fallu deux années d’âpres discussions entre les membres du Comité de Bâle pour obtenir l’accord signé le 7 décembre 2017. Au fil des échanges entre États et avec des décideurs obnubilés par la recherche d’un consensus, le concept de l’output floor s’est même détérioré et a abouti à un mécanisme qui souffre de deux lacunes graves se combinant :

  • une franchise pour cette surcharge de capital a été introduite dans le calcul et l’output floor est ainsi devenu un supplément de capital sélectif entre banques, pour des motifs éloignés de la notion de risque pourtant visée : certaines sont quasiment exonérées grâce à leur mix d’activités exercées (la banque de gros est peu impactée) ou du fait de leur lieu géographique (les marchés US sont infiniment plus souples pour permettre une gestion de l’output floor). Le seuil fixé pour cette franchise permet d’ailleurs miraculeusement aux banques américaines, pourtant à l’origine de la crise des subprimes et donc de la réforme, d’être épargnées par l’output floor. Est-ce là un hasard ?
  • d’autres banques ont été en revanche démesurément touchées à la hausse, le renforcement du capital étant devenu très différencié suivant les métiers bancaires. On aurait en effet pu s’attendre à une hausse uniforme des exigences tirées des modèles internes, de l’ordre de 10 % maximum dans la limite du mandat initial donné par le G20. Or la formule finalement retenue génère pour certains métiers des effets multiplicateurs de 200 % voire 300 %, totalement injustifiés.

Toutes les activités de banque de détail se retrouvent outrageusement impactées mais aussi d’autres métiers comme les financements spécialisés et les m tiers de titrisation qui sont également démesurément touchés.

LES BANQUES VEULENT UNE REGLEMENTATION EFFICACE ET EQUITABLE

Ce n’est qu’en octobre 2018, soit presqu’un an après l’accord, que les banques ont pu avoir accès aux premières données d’ensemble sur les impacts de la réforme. Leur exploitation a alors permis des analyses chiffrées qui ont montré à la fois des contraintes de capital additionnelles bien supérieures en Europe au mandat initial confié par le G20 au Comité de Bâle.

Elles ont alors souligné les faiblesses conceptuelles de la formule du mécanisme de l’output floor sortie de l’accord, et montré que ce mauvais thermomètre de mesure des risques allait, au-delà de l’instauration d’exigences de fonds propres bien plus élevées, bouleverser le modèle de la banque de proximité.

Les deux objectifs recherchés globalement par la réforme Bâle 4 étaient d’une part de réduire la variabilité des mesures en risques et d’autre part d’amener une meilleure comparabilité. Aucun de ces deux objectifs ne sera bien rempli. En revanche, ce seront des pans entiers de la réglementation prudentielle précieusement acquis au fil du temps qui vont être remis en cause. Ainsi en sera-t-il du principe de base de la réglementation « même risque, même capital » qui a pourtant soudé tous les acteurs financiers depuis Bâle 1 en 1988. Le développement et la maintenance de modèles internes, toujours coûteux à exploiter, va être challengé et de nombreuses banques vont abandonner la production de nouveaux modèles internes, sur les activités de marché par exemple (nouvel FRTB).

L’Europe doit être courageuse et intelligente, tout en respectant au mieux l’accord de décembre 2017. Il ne faut pas nous forcer à mettre en œuvre en l’état une réglementation que l’on sait être une norme néfaste qui affaiblira nos banques au détriment des autres, américaines en premier lieu.

Elle doit préserver la liberté de pouvoir continuer à exercer un métier de banque de détail sans contraintes prudentielles excessives.

Elle doit enfin s’affirmer et non se déchirer. Il est important pour les citoyens de l’Union européenne d’avoir des groupes bancaires européens capables de se mesurer aux grandes banques américaines et asiatiques. Ce n’est pas en leur coupant un bras et en leur imposant un fardeau prudentiel supplémentaire dédié que cette vocation leur sera facilitée…

NOUS CONTINUONS A ŒUVRER EN CE SENS

Il ne s’agit pas de remettre en cause les avantages d’une réglementation internationale, ni même de remettre en cause l’idée initiale d’un renforcement des exigences sur les mesures tirées des modèles internes. Et sans doute est-il trop tard pour revoir l’accord de Bâle de décembre 2017 !

Une conclusion s’impose cependant : les ratios Bâle 4 seront bien plus pertinents lorsqu’ils seront utilisés hors impact de l’output floor. Cet output floor que même l’EBA a qualifié d’artificiel déforme irrationnellement et gravement les ratios.

Il est indispensable de trouver une solution pour corriger ou limiter au maximum ce mécanisme de l’output floor. Plusieurs pistes ont été mises sur la table, certaines meilleures que d’autres. Elles concernent l’ajustement des méthodes standards pour tenir compte des spécificités européennes qui amoindrissent les risques (double recours pour l’immobilier résidentiel par exemple) et/ou le fonctionnement du mécanisme d’output floor lui-même (introduction d’un plafonnement).

La réglementation financière est un enjeu politique : USA versus l’Europe ? Pays où les banques ont peu de modèles internes versus France ou Allemagne ? Pays host contre pays home ?

Bâle 4 en est un symbole. Cette réforme m le de nombreux ingrédients : mesures techniques, impacts économiques, stabilité financière mondiale… Les conséquences seront majeures s’il n’y a pas de réelle considération européenne du sujet, avec une menace à terme sur la souveraineté financière de l’Europe et un danger pour le modèle de la banque de détail à la française qui montre pourtant chaque jour ses grandes qualités auprès de tous ses clients.

L’interviewé

OLIVIER GAVALDA
DIRECTEUR GÉNÉRAL

Crédit Agricole

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