Interview // Patrick ARTUS, Chef économiste et membre du Codir, Natixis

21 juillet 2021

Les banques ont un rôle important à jouer dans le financement de la transition énergétique. Il faut cependant avoir conscience qu’il s’agit de financements longs, avec de gros effets de levier, complexes à mettre en œuvre.

L’un des problèmes de l’Europe est l’impossibilité de désintermédier le financement de son économie. D’une part, les épargnants ont un goût prononcé pour la sécurité. D’autre part, la finance de marché n’a pas pris le relais des banques pour assurer le financement des investissements à long terme. L’Europe est donc obligée d’intermédier le financement de son économie via le secteur bancaire.

Dans ce contexte, quelle est la capacité de l’économie européenne à financer des projets longs et risqués avec des ressources en épargne courtes et sans risque ?

LA RÉGULATION EUROPEENNE

L’Europe a mis en place une régulation du secteur financier par les fonds propres. Depuis trente ans, la philosophie de la régulation consiste à augmenter régulièrement les réserves de fonds propres des banques et à organiser des « stress tests » en continu pour s’assurer de la viabilité du système bancaire. Le modèle d’intermédiation européen est cher car il nécessite de rémunérer les fonds propres immobilisés par les banques à un niveau élevé. Dans un schéma où l’on demande aux banques de mobiliser de plus en plus de fonds propres, l’intermédiation a un coût trop élevé, qui s’avère pénalisant pour le système financier européen. Nous devons sortir du modèle basé sur l’augmentation continue des besoins en fonds propres des établissements financiers.

L’EVOLUTION DE L’INTERMEDIATION

Comment sortir d’un système d’intermédiation aussi pénalisant ?

  • La 1ère solution serait de changer la régulation du secteur bancaire. Mais une telle réforme apparaît actuellement difficile réaliser.
  • La 2ème solution serait de changer la réglementation du secteur assurantiel avec la mise en place d’un nouveau Solvabilité 2. La prochaine r vision de cette réglementation offre une telle opportunité.
  • La 3ème solution serait l’intermédiation de la BCE pour financer la transition énergétique des conditions favorables. Toutefois, cette hypothèse induit une intermédiation directe de la banque centrale.

LE PORTAGE DU RISQUE

La question fondamentale qui a été jusqu’à présent éludée consiste à décider qui doit porter le risque économique. La régulation s’est fixée comme objectif prioritaire la sécurité de l’épargnant sans se poser la question du portage du risque.

Après la crise de 2008, pour des raisons politiques, l’Europe a refusé que les états sauvent les intermédiaires financiers en danger. La régulation a alors imposé aux banques de constituer des fonds propres gigantesques.

Jusqu’à présent, le risque était porté par les actionnaires des établissements financiers. Mais chacun constate que les valeurs bancaires sont de moins en moins attractives. On pourrait alors imaginer que le risque soit porté par les épargnants. Mais ces derniers refusent d’assumer le moindre risque.

En conséquence, le risque économique bascule progressivement vers l’état. Les prêts garantis par l’État (PGE), les prêts participatifs Relance (PPR), les garanties accordées aux secteurs en difficulté… illustrent cette tendance de fond. Le plus probable est que l’on se dirige vers une nationalisation de facto de l’intermédiation financière. Les banques survivront dans les mains des états et seront totalement administrées. Le financement sera alors public. En réalité, cette solution consiste à confier le portage du risque aux ménages et aux citoyens… sans qu’ils le sachent.

Aux États-Unis, les agences Fannie Mae et Freddie Mac ont déchargé les banques du risque économique. Ce sont les Américains qui portent le risque. Il serait logique de créer en Europe une agence du type Fannie Mae ou Freddie Mac afin de libérer des fonds propres pour les banques et de les réallouer pour les entreprises. Ainsi, les crédits immobiliers des ménages seraient garantis par l’État.

LA RÉFORME DE SOLVABILITÉ 2

La réglementation du secteur assurantiel a fortement réduit les investissements directs dans les entreprises. Une révision de Solvabilité 2 apparaît plus que nécessaire. Pour l’assurance-vie, il faudrait une réforme du fonds en euros. En effet, le régulateur a privilégié la garantie en capital du fonds en euros. Et les compagnies d’assurance doivent être en mesure de prouver au régulateur que la valeur des actifs ne sera pas plus faible dans un an qu’aujourd’hui. Nous devons bâtir le fonds en euros du futur, avec moins d’obligations en portefeuille, davantage de fonds propres et davantage de « private equity ».

La 1ère solution serait de supprimer la garantie en capital. Toutefois, il semble difficile de la supprimer de force, en orientant les fonds en euros vers les fonds euro de croissance.

La 2ème solution consisterait à renforcer Solvabilité 2 et à changer l’horizon. Ainsi, les tests de risques seraient évalués à un horizon de trois à quatre ans au lieu d’un horizon d’un an.

LA FUITE EN AVANT DANS L’ENDETTEMENT

La création monétaire est désormais effectuée par les banques centrales, qui sont devenues les prêteurs en dernier ressort des États. Un récent rapport de l’institut de recherche de la BCE montre quel point la politique monétaire de la banque centrale est désastreuse car elle affaiblit l’intermédiation financière en Europe.

Au XXème siècle, une création monétaire aussi massive provoquait de l’inflation. Mais cela ne fonctionne plus aujourd’hui car le supplément de monnaie créé n’est pas dépensé dans l’économie. Une grande partie de cette monnaie est investie en actions ou dans l’immobilier. C’est ainsi que nous assistons à une inflation des actifs mais pas de l’économie.

En théorie, il faudrait arrêter au plus vite de créer autant de monnaie. Mais les objectifs des banques centrales ont évolué et sont désormais centrés sur le plein emploi et la baisse des inégalités. De plus, les bulles peuvent mettre longtemps avant d’éclater dès lors que les taux d’intérêt restent bas. Chacun doit néanmoins être conscient que l’accumulation et le gonflement des bulles d’actifs préparent très probablement les crises financières du futur.

L’interviewé

PATRICK ARTHUS
CHEF ÉCONOMISTE ET MEMBRE DU CODIR

Natixis

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