L’avenir pour le luxe et la mode sera circulaire

IAB Mode

Un article de Gilles Auguste, directeur associé, TNP, paru dans le livre blanc « Les défis de la transformation de l’industrie du luxe »

 

Alors que l’industrie pétrolière est l’une des plus polluantes au monde, celle de la mode et du luxe n’est pas en reste. Procédés polluants de traitement et de coloration des tissus, transport de marchandises depuis des pays lointains à bas coûts, multiplication des emballages, flaconnages peu écologiques…, l’industrie textile et celle du luxe sont confrontées à un véritable défi écologique et social de longue haleine.

Face à ces enjeux, les grands groupes du secteur de la mode et du luxe, ainsi que de nouveaux acteurs, développent des initiatives qui s’inscrivent dans un nouveau modèle économique, appelé « économie circulaire », en opposition avec le modèle de l’économie linéaire actuel qui consiste à extraire, fabriquer, consommer, puis jeter. L’objectif de l’économie circulaire est de produire des biens et des services de façon durable en limitant la consommation et le gaspillage des ressources non renouvelables (matières premières, eau, énergie), ainsi que la production de déchets.

 

La mode se « recycle » et le fait savoir

« I’m saying yes to recycling » : tel est le slogan qu’arboraient, sur leurs vêtements conçus à partir de « matériaux régénérés », les mannequins du défilé Emporio Armani organisé à Milan en janvier 2020, avant le début de la pandémie. La crise du Covid-19 semble avoir conforté le designer italien Giorgio Armani dans son choix d’une mode dite « durable », lui qui, dans une lettre ouverte publiée dans le Women’s Wear Daily, le 3 avril 2020, s’était insurgé contre le «gaspillage» de la mode, sa surproduction et un rythme des collections devenu « criminel ».

Dans le milieu du luxe, il n’est pas le seul à faire évoluer son discours. Louis Vuitton ose aussi, pour la première fois, l’upcycling (redonner vie à un vêtement déjà existant en le métamorphosant) : la collection masculine printemps-été 2021 comprend 25 looks créés à partir de matières existantes, puisées dans les stocks ou dans des surplus de matières, 25 looks issus de collections précédentes et des pièces totalement upcyclées comme, par exemple, des sneakers montantes de l’été 2019 transformées en baskets basses par le directeur artistique Virgil Abloh.

Faire du neuf avec du vieux et le dire, dans un milieu habitué à proposer des nouveautés plus que de raison : voici le nouveau visage du luxe à l’ère pandémique, à l’apparence moins culpabilisante. Chez Gucci, on recycle aussi et on le fait savoir, avec « Off the grid », la collection mixte d’accessoires et de prêt-à-porter, présentée en juin dernier, totalement conçue en économie circulaire. Comme chez Vuitton ou Armani, les prix de ces pièces recyclées restent les mêmes que ceux des pièces classiques, pas de rabais en vue.

Challengées par des marques émergentes qui pratiquent l’upcycling depuis plusieurs saisons – Marine Serre, Germanier, Duran Lantink, notamment – les marques de luxe prennent le tournant de l’économie circulaire, encouragées par la crise sanitaire mais aussi contraintes par la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage, interdisant la destruction des invendus non alimentaires à partir de 2022. En 2018, Burberry faisait scandale en annonçant, dans son rapport annuel, avoir détruit des produits d’une valeur totale de 28 millions de livres pour «protéger sa marque». Dans le luxe, cette pratique était répandue pour éviter l’écoulement des stocks à bas prix. Deux ans après, les choses ont enfin changé.

Ce mouvement ne semble pas pour autant s’accompagner d’un ralentissement du rythme des collections. Covid-19 ou pas, la vie continue avec des défilés ou des présentations désormais virtuelles. À ce jour, seulement 1% des vêtements est recyclé, avec une production globale qui augmente de 4 à 5% par an. Si on ne traite pas le problème de fond, à savoir la dictature du rythme des collections, ces initiatives resteront un leurre. Ces collections dites « recyclées » s’accompagnent-elles du message : acheter moins? Pas vraiment.

« Espérons qu’il ne s’agisse pas simplement d’une manière d’écouler les stocks du Covid… Il s’agit d’intégrer le recyclage dans une démarche plus large de changement de modèle économique », s’inquiète Elisabeth Laville, fondatrice du cabinet Utopies spécialisé en développement durable. Une démarche qui implique de produire moins.

 

Le luxe via la seconde main se convertit au circulaire

Le marché de l’occasion serait-il en passe de détrôner la « fast fashion »? Depuis plusieurs années, la seconde main connaît une croissance fulgurante. Elle devrait progresser en moyenne de 12% par an, passant d’un chiffre d’affaires estimé à 25 milliards de dollars dans le monde en 2018 à environ 36 milliards de dollars en 2021. C’est ce que révèle l’étude BCG et Vestiaire Collective, «Why Luxury Brands Should Celebrate the Preowned Boom» en 2019.

La raison d’un tel succès ? La multiplication et la professionnalisation de sites Internet de vêtements et d’accessoires d’occasion. Ces derniers proposent notamment une offre de produits plus large et certifiée alors que beaucoup de contre[1]façons de produits de luxe sont vendues en ligne. Pour cela, elles collaborent directement avec les maisons de luxe pour établir un processus d’authentification rigoureux, et font appel à des experts pour contrôler la qualité des produits pro[1]posés à la vente.

Parmi ces plateformes figure The RealReal, le leader mondial de l’envoi de luxe authentifié. Depuis 2011, l’entreprise américaine permet de revendre des vêtements, de la haute joaillerie, des montres et même de la décoration d’intérieur d’occasion.

Autre site de luxe d’occasion en ligne : Vestiaire Collective, numéro un en Europe et deuxième acteur mondial dans le secteur du luxe de seconde main. Lancé en 2009 en France, le site compte désormais plus de 9 millions de membres dans 50 pays, en Europe, aux États-Unis, en Asie et en Australie.

« La seconde main a démocratisé la mode en donnant à un plus grand public l’accès à des vêtements et accessoires de luxe auxquels il n’aurait pu aspirer autrement », indique son Pdg Maximilian Bittner.

Au-delà de l’accessibilité des articles vintage, l’attrait pour la seconde main dans le luxe s’explique par l’émergence de consommateurs « digital native » et soucieux d’adopter des comportements respectueux de l’environnement. Les millennials (nés entre 1985 et 1995) et la génération Z (née après 1995) représentent la majorité des consommateurs de l’occasion. Ils ne sont pas les seuls à bénéficier de cette économie circulaire du luxe. Pour les maisons de création, le marché de la seconde main est un moyen de toucher un nouveau public et d’attirer à elles les «consom’acteurs». Que faire quand on est une maison de création ou un distributeur de produits de luxe non encore engagé dans l’économie circulaire ? Se posent à eux deux questions : quelle stratégie adopter et quelles options de développement privilégier ? Deux stratégies sont possibles pour s’adapter au nouvel impératif de l’économie circulaire. La première stratégie, centrée sur la raison d’être de la marque, vise à protéger la valeur de la marque et la vision de son fondateur ou à s’affirmer sur le marché comme un des leaders de l’engagement durable et de l’éthique. La deuxième stratégie, plus offensive, a pour objectif de conquérir de nouveaux clients, de développer de nouveaux canaux de distribution, ou de faire de la seconde main une nouvelle offre profitable.

Une fois la stratégie choisie, trois options de développement s’offrent à ces maisons de création ou distributeur de luxe. Acquérir une plateforme de vente en ligne, comme le groupe Richemont l’a fait avec le pure player Net-A-Porter, devenu depuis Yoox NAP. Co-investir, sous forme d’un Joint-Venture, avec un acteur de vente en ligne spécialisé dans la mode, le luxe et les accessoires en s’assurant du contrôle de la qualité des produits proposés. Créer une nouvelle offre produit qui permette de préserver l’héritage de la marque tout en démontrant sa responsabilité et son engagement dans la production et la consommation. C’est cette dernière option que la marque de chaussures française J.M. Weston a lancé en 2020. Baptisée « Weston Vintage », la nouvelle offre à l’initiative de son directeur artistique, Olivier Saillard, propose de restaurer les anciens souliers de ses clients et de les proposer à la vente.

Habituée au travail de restauration – la maison remonte et ré[1]pare plus de 10000 paires chaque année dans son atelier de restauration de Limoges -, J.M. Weston souhaite ainsi « privilégier une approche d’économie circulaire et transmettre aux générations le style intemporel de ses modèles emblématiques ».

Concrètement, la griffe de chaussure propose à ses clients de venir déposer leurs anciennes paires pour procéder à une expertise, les souliers pouvant être restaurés par la Manufacture de Limoges (contre échange d’un bon cadeau), les autres ne pouvant être restaurés recevant un soin gratuit de la maison. Une fois « recyclés », elles sont proposées à la vente à de nouveaux clients, plus jeunes, qui bénéficient ainsi de ces modèles emblématiques à un prix abordable.

Selon Olivier Saillard, le projet Weston Vintage est « un hom[1]mage aux collections qui ont construit l’histoire de la maison et engage J.M. Weston dans une réflexion profonde sur les actes de production et de consommation que la maison aborde avec responsabilité»