Repenser les parcours face à la crise

IAB marine

Un article de Marine Favreau-Ramis, manager, TNP, paru dans le livre blanc « Les défis de la transformation de l’industrie du luxe »

 

Force est de constater que crise sanitaire et ventes en boutique ne font pas bon ménage. Non seulement les consommateurs sont réticents à revenir en magasin, mais ils ont adopté de nouvelles habitudes d’achat à distance. À cela s’ajoutent une accélération généralisée de la prise de conscience écologique et des consommateurs qui scrutent désormais avec attention la provenance et le devenir des produits.

Dans ce contexte, comment continuer à accroître son chiffre d’affaires ? Surtout quand on est un acteur du luxe et que le canal digital est aussi tentant pour son volume que risqué pour l’image ? Comment faire du digital un levier de croissance qui respecte les codes du luxe, l’image de marque et les enjeux d’une maison ?

À titre d’exemple, Apple est l’un des acteurs qui illustre l’idée du digital qui se fait luxe et du luxe qui peut être digital. Le marché de l’Art, avec la démocratisation du NFT (Non Fongible Token), incarne également ce concept.

De la même manière, l’ensemble des acteurs du luxe a une carte à jouer dans la digitalisation des ventes, si toutefois ils arrivent à en relever les enjeux et à ne pas dénaturer leur métier.

Si les acteurs du luxe sont de plus en plus nombreux à commercialiser leurs produits en ligne, faire vivre l’expérience du luxe relève d’un certain nombre de caractéristiques qu’il est important de retrouver à chaque étape du parcours, y compris au moment de la concrétisation de l’achat, quel que soit le canal choisi. Regardons ce qu’il en est sur les plateformes de e-commerce.

 

Vendre l’expérience du luxe en ligne

Au-delà du design irréprochable dont elles doivent faire preuve et de l’impératif de les positionner dans un écosystème technique pragmatique (CRM, catalogue produit, gestion des campagnes marketing, etc.), les plateformes de vente en ligne de produits de luxe doivent avant tout permettre de dérouler le parcours client de bout en bout, tout en plongeant leurs utilisateurs dans l’univers de la maison. À chaque étape du parcours client (découverte de la marque, manipulation des produits, conseils personnalisés, achat, acheminement, fidélisation, etc.), il faut veiller à ce que des fonctionnalités spécifiques donnent à l’expérience globale une dimension supplémentaire, au moins à la hauteur de celle vécue en boutique.

 

Des ventes très privées

La première spécificité du luxe, c’est son caractère exclusif et rare. Afin de l’entretenir, il convient de recréer en ligne des cercles de ventes réellement privés, auxquels seuls quelques privilégiés peuvent accéder et qui leur ouvrent les portes d’un catalogue produit spécifique. Il faut, par exemple, savoir animer un réseau de VIP au travers d’événements en ligne accessibles uniquement sur invitation.

 

Une relation privilégiée

Autre caractéristique du luxe, la proximité. L’enjeu est de mettre à disposition du client un interlocuteur qui l’écoute, le comprend et sait identifier les pièces qui sauront le satisfaire.

Afin de conserver cette relation sur le canal digital, il est important que le client puisse identifier son interlocuteur dédié et communiquer avec lui au travers, par exemple, de solutions de visio-conférence ou de livechat. Qui dit interlocuteur privilégié sous-entend qu’il est possible de réserver un créneau avec ce dernier. Prise de rendez-vous en ligne et agenda partagé, ainsi que refonte potentielle de l’organisation autour de la gestion de la relation client (déclinaison du modèle relationnel sur le canal digital, adaptation du CRC, etc.), sont aussi à l’ordre du jour. C’est le choix que semble notamment avoir fait la maison Bulgari.

 

Des produits à manipuler

Dans tout processus d’achat, la confrontation au produit est un élément clé permettant au prospect de se projeter avant de passer à l’acte d’achat lui-même. Il est important de re[1]créer la sensation de manipulation des produits au travers du digital. Pour ce faire, la réalité augmentée peut être un allié. Il n’y a qu’à voir le succès d’applications comme Wanna Kicks qui propose en précommande ou en test des baskets de différentes marques qu’il est possible d’essayer en réalité augmentée.

Déclinant le concept à l’extrême, certaines marques comme Gucci, avec sa paire de sneakers « Virtual 25 », vont jusqu’à proposer d’acquérir des produits sous un format exclusivement digital, surfant ainsi sur la vague des réseaux sociaux et du seul besoin de s’y exposer. Certains influenceurs, à l’image d’Amber Jae sur Instagram, ont fait du vêtement virtuel leur ligne éditoriale.

 

Un achat sécurisé et discret

Étant donné les montants que peuvent représenter les ventes d’articles de luxe, il est aussi primordial de mettre à disposition des clients les moyens de paiement qu’ils ont l’habitude d’utiliser et de bien veiller à la sécurité de la transaction. Des noms comme Visa ou MasterCard sont incontournables en Occident mais il faut aussi penser aux quatre moyens représentant 92% des préférences de la clientèle chinoise que sont AliPay, WeChat Pay, Union Pay International et China Union. Si ces moyens de paiement en ligne sont sécurisés, rien de tel que d’y donner accès au travers d’un espace personnel sécurisé afin de garantir la solidité du système dans son ensemble. Des solutions d’authentification entrent alors en jeu.

Par ailleurs, l’utilisation d’un espace personnel est un excellent moyen de personnaliser la relation client (suivi et historique des achats, messagerie directe avec son conseiller attitré, catalogue produit spécifique, etc.) et d’entretenir la proactivité de sa maison. Enfin, c’est un levier pour conserver une certaine discrétion autour du profil acheteur : le prix des produits peut, par exemple, être restreint au mode connecté, de la même manière qu’il ne serait pas affiché dans la vitrine d’une boutique physique.

 

 Un produit certifié authentique

La logistique et toutes les questions autour de l’acheminement du bon produit sont d’autres enjeux auxquels se confronte le luxe dans la digitalisation de ses ventes. C’est ce défi que le consortium indépendant et à but non lucratif Arianee cherche à relever. Grâce au développement d’une technologie reposant, tout comme le NFT, sur la blockchain, une identité numérique est associée aux objets de valeur et ces derniers peuvent ainsi être tracés depuis l’atelier jusqu’à leurs acquéreurs successifs. Non seulement les acheteurs ont la garantie d’acquérir un objet authentique mais les marques peuvent aussi piloter leur circuit de production de manière plus sécurisée, ainsi que suivre leurs produits sur le marché de la seconde main. À l’heure où l’économie circulaire est au cœur des préoccupations des Millennials et de la génération Z, désormais devenus les principaux acheteurs du luxe, il serait dommage de se passer de ces technologies.

 

Les boutiques n’ont pas dit leur dernier mot

Digitaliser ses ventes, c’est d’abord se lancer dans la vente en ligne, notamment au travers d’une plateforme de e-commerce permettant davantage de maîtriser l’image de marque qu’au travers d’une marketplace

La seconde étape consiste à décliner cette nouvelle relation client entièrement digitale sur le canal physique. Les outils mis à disposition du client dans la gestion de la relation à distance doivent être communs à ceux mis à la disposition des vendeurs dans les boutiques.

Enfin, les boutiques doivent s’équiper d’outils digitaux à disposition directe des clients. À titre d’exemple, et parce qu’il est aisé d’imaginer leur perte de superficie dans un futur proche, des miroirs de réalité augmentée pourraient venir doter les boutiques d’un moyen d’essayer les produits en stock sur d’autres sites que celui où se trouve le client.

L’omnicanalité apparaît comme un point d’attention clé de la cohérence du parcours de bout en bout. Sortir de la crise sanitaire avec succès ne pourra se faire qu’à la condition que chaque maison propose un seul et même parcours à l’ensemble de ses clients, quel que soit le canal choisi, avec la possibilité de passer de l’un à l’autre à tout moment, voire de les utiliser simultanément. Les processus qui permettent d’articuler ce parcours reposent sur les acteurs humains et techniques qui portent le parcours du client et son expérience dans une maison donnée.

La crise sanitaire s’impose comme un accélérateur de la transition des maisons vers un usage « banalisé » du digital, dans lequel la gestion de la relation client de demain doit être anticipée au profit de la maîtrise des ventes et de la croissance des revenus.