RTTVP : contexte, enjeux et décision

IAB RTT

Un article de Damien FERRARO, partner, TNP et  Maxime GAUTHIER, consultant senior, TNP,  paru dans le livre blanc « Les défis de la supply chain » 

 

Entre mars et juillet 2021, 422 navires chargés de 26 millions de tonnes de marchandises ont été bloqués dans le canal de Suez. Selon l’assureur Allianz, les pertes ont atteint 6 à 10 milliards de dollars par jour pour le commerce maritime mondial, sans compter les pertes pour les chargeurs.

Une seule faille dans la chaîne d’approvisionnement peut être préjudiciable à la bonne santé d’une entreprise. Et elles sont nombreuses : problème d’approvisionnement des fournisseurs, sous-capacité de production, dommages matériels, erreur de planification, retards de livraison, problèmes techniques, rupture dans la chaîne logistique, sont les risques majeurs liés à l’approvisionnement.

Viennent s’ajouter les pénuries d’allocation, les catastrophes naturelles, les grèves, les attaques de sécurité informatique, les problèmes géopolitiques et financiers et maintenant la crise sanitaire.

Le 7 octobre 2021, alors touchés par la COVID-19 et le typhon Chanthu, les deux ports les plus actifs de Chine, Shanghai et Ningbo, totalisant à eux deux environ 40% du commerce mondial, comptaient 386 navires (ancrés et amarrés) à leur large.

Ces retards touchent deux leviers principaux de profitabilité d’une entreprise: revenus et coûts. D’une part, parce qu’ils créent des annulations de commandes, voire des pénuries d’offre sur le marché; d’autre part, parce qu’ils engendrent des interruptions de production, voire des fermetures d’usines. En France, en 2020, les entreprises ont subi en moyenne un temps d’arrêt de production équivalent à 35 jours. Tandis que, selon une étude menée par Descartes en 2021, 24% des répondants disent ne plus vouloir commander sur un site après une mauvaise expérience de livraison. Une information qu’ils partagent avec leurs proches (19%) et qui créée de la méfiance auprès du prestataire de transport. 17 % éviteront de commander sur des sites travaillant avec des sociétés dont ils sont mécontents.

Comment anticiper et pallier un phénomène qui s’amplifie depuis de nombreuses années ? D’après une étude menée par Project44 en 2020, la fiabilité des horaires des transporteurs maritimes continue de décliner, avec des retards allant jusqu’à 30 jours sur les routes Chine – UE les plus touchées, et 22 jours sur les routes Chine – côte ouest des États-Unis.

Les entreprises tentent de réagir par la réduction de leurs interlocuteurs dans la chaîne, la multiplication des sources d’approvisionnements, l’augmentation des stocks des composants critiques ou encore l’approvisionnement local. Au-delà de ces solutions, tant les chargeurs que les forwarders se tournent vers des solutions de visibilité basées sur des systèmes logiciels, ainsi que le rapprochement et l’analyse de données.

Pour comprendre la croissance et les mutations du marché de la visibilité de la supply chain, il convient d’en illustrer ses défis

 

Couvrir le bout en bout logistique en continu

Le délai d’acheminement d’un conteneur est le temps total de transit d’un conteneur, d’un lieu de chargement (entrepôt, port ou terminal) à un lieu de déchargement (entrepôt, port ou terminal), incluant le temps passé dans les différents ports en route et le temps passé au mouillage dans les ports de passage ou au port de destination.

Quant au délai d’acheminement d’un colis, il faut également convenir des activités en amont et en aval de Contract Logistics, sur les premiers et derniers kilomètres. La chaîne logistique est complexe à analyser du fait de son morcèlement. À chaque « morceau » son système informatique et ses spécificités qu’il convient d’intégrer pour en récupérer la donnée.

 

Gérer la multiplicité des acteurs et leur opacité

L’opérabilité du commerce implique souvent le recours à la sous-traitance. Les entreprises cherchant de la visibilité se confrontent alors au morcellement vertical de la chaîne. C’est le cas notamment dans le transport terrestre que l’on qualifie de millefeuille car les sous-traitants procèdent eux-mêmes à de la sous-traitance, ce qui les rendent invisibles du client initial. Il convient alors de pouvoir identifier le prestataire de transport réalisant le transport et de s’y interfacer afin de récupérer de sa donnée de visibilité.

 

Disposer d’une donnée de qualité reposant sur des standards communs

Pendant longtemps, la donnée de la visibilité n’a pas été priorisée par l’ensemble des acteurs pourtant parfois détenteurs mais préférant la laisser à des agrégateurs externes. Nos analyses ont révélé jusqu’à près de 25% de non-qualité seulement sur la donnée schedules des armateurs et co-loader de certains agrégateurs. Pourtant, ces données sont, communément et traditionnellement utilisées par les différents acteurs.

En effet, certains ont même internalisé et industrialisé les activités de retraitement de données avant intégration dans leurs systèmes. En effet, ces processus et logiques de retraitement sont disparates selon les entreprises et créent des distorsions ou des difficultés dans leur transformation digitale. Or, aucun standard ne s’est encore imposé et des initiatives telles que la Digital Container Shipping Association tentent d’adresser ce type de problématique.

Dans le cadre de ses travaux au service de la compétitivité logistique française, France PCS a mis en septembre 2021 à disposition deux guides EDI (Échange de Données Informatisées) pour mettre en œuvre un tracing-tracking mutualisé.

Gartner prévoit que d’ici à 2023 la moitié des plus grandes entreprises mondiales utiliseront une plateforme de visibilité pour suivre leurs transports en temps-réel (RTTVP). Le marché des solutions de tracing-tracking des transports est florissant avec plusieurs fournisseurs qui connaissent une croissance de 100% d’une année sur l’autre. Gartner estime que la taille du marché a atteint près de 300 millions de dollars en 2020 et prévoit qu’il atteindra 1 milliard de dollars d’ici 2024. En plus des acteurs traditionnels tels que les armateurs, de nouveaux acteurs ont émergé : les Real-time Transportation Visibility Platforms (RTTVP) et les solutions basées sur l’IoT. Si ces dernières peinent encore à exploser, les solutions de type RTTVP ont le vent en poupe et ambitionnent de proposer aux chargeurs et prestataires logistiques de « suivre leurs marchandises de bout-en-bout à partir d’une unique plateforme, quel que soit le mode de transport utilisé et n’importe où dans le monde». Shippeo, spécialiste français des solutions de visibilité en temps réel pour les transports en Europe (et au-delà…), a fait état d’une croissance record sur l’année 2021, avec +103% de recettes en un an.

 

RTTVP : la course à l’enrichissement de donnée par la croissance externe

Le marché des fournisseurs de services de visibilité est encore dominé par des solutions telles que les systèmes de gestion du transport avec données intégrées, comme CargoWise avec GT NEXUS. Toutefois, au cours des dernières années, les fournisseurs de RTTVP ont adopté une stratégie agressive de fusions et d’acquisitions pour se développer à la fois horizontalement et verticalement, comme en témoignent les récentes acquisitions en 2021 : Fourkites ayant acquis Haven, une société de tarification dynamique ; Project 44 avec Ocean Insights, ClearMetal pour la visibilité maritime et plus récemment Convey pour le last mile delivery (255 millions de dollars) ; Descartes qui s’est offert Kontainers (une plateforme de réservation en marque blanche) et Portrix (un système de gestion des tarifs). À mesure que le marché des RTTVP gagne en maturité, les entreprises utilisatrices poussent leurs fournisseurs à étendre leurs capacités, les modes offerts et la couverture régionale. Certains fournisseurs tentent de le faire de manière organique, d’autres le font par le biais d’acquisitions et/ou de partenariats. Des acteurs majeurs (armateurs ou forwarders) ont récemment annoncé leur partenariat avec des fournisseurs de type RTTVP. Ces partenariats doivent leur permettre d’offrir à leurs clients une expérience de visibilité end-to-end, omnicanal et multi-produits, ainsi qu’incarner un levier d’optimisation de la chaîne logistique : réseau (routes, hubs,  ..), partenaires et contrats, …

 

RTTVP : TNP recommande 3 critères à prioriser

Qualité de la donnée et transparence de la source Au regard des défis rencontrés par les différents acteurs, le critère de sélection principal réside dans la capacité du fournisseur à apporter et structurer une donnée en qualité, ainsi qu’en expliciter sa source. Selon notre expérience, il convient d’être particulièrement vigilent sur les points suivants : visibilité dans les terminaux et calcul du « dwell time »; positionnement GPS/AIS et «Geofencing»; ETA prédictif, prise en compte des rotations des services maritime, … Enfin, il faudra vérifier le temps de mise à disposition et d’actualisation des informations, notamment dans le cadre d’un outil d’aide à la décision. Prix de la solution et coût d’intégration Commercialement, les solutions de RTTVP se situent au-dessus des standards de prix du marché, entre 3 et 8 euros le containeur (avec engagement de 3 à 5 ans). Nos études montrent que le coût actuel de la visibilité pour les acteurs du transport fluctue plutôt autour de 1 à 3 euros le containeur. Cela peut représenter un effort financier important selon les volumes transités par an et la capacité de l’acteur à répercuter ce coût à ses clients finaux, d’autant plus que ce prix ne tient pas compte d’éventuels coûts d’intégration et développement spécifique, sans parler du délai de commercialisation.

 

Cas d’usages vs. maturité des systèmes

Il convient enfin d’identifier des cas d’usages clairs, particulièrement dans le cadre d’une utilisation par API (Application Programming Interface), par opposition à une externalisation, car l’expérience montre une certaine inefficacité d’exploitation de ces solutions par leur client. En effet, les limites de leurs systèmes (obsolescence technologique impactant l’intégration, manque ou mauvaise données pour enrichir celles du fournisseur) induisent une sous exploitation des capacités offertes par ces solutions (Business Intelligence, Reporting, Real-Time Management,…). D’autres critères, plus transversaux et stratégiques, peuvent également influencer les prises de décisions au niveau entreprise, notamment pour les « liners » et «forwarders». La maturité de la donnée visibilité en interne peut orienter vers une approche de « cherry picking » et s’orienter sur des solutions plus spécifiques pour couvrir les manques ; La volonté de favoriser partenariat unique pour l’ensemble de ses produits ou bien de réduire la dépendance par une approche produit. Les données sont plus accessibles que jamais, ce qui signifie que les entreprises peuvent accéder à des informations approfondies sur le marché concernant les tendances économiques et les produits de base, les analyses d’expédition et les informations sur les clients. Les acteurs de l’industrie qui investissent dans l’obtention de ces données et leur analyse peuvent les utiliser pour saisir des opportunités dans quatre domaines principaux : trouver des sous-secteurs et des niches attrayants, optimiser les portefeuilles d’actifs (maritimes, terrestres, aériens, réseaux, …), améliorer les choix commerciaux et exploiter plus efficacement les véhicules existants. Nous assistons à une révolution de la supply chain où les nouveaux acteurs RTTVP prennent la main sur la donnée et pourraient prendre la valeur associée et ainsi rendre les forwarders caducs ou pou

15 février 2022

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