Les enjeux de la CSRD

25 novembre 2022

Un article de Ithier de Reilhac, partner, TNP et Anny Serero, directrice, TNP,  paru dans le Livre Blanc « Bâtir une Europe financière souveraine »

Le 21 avril 2021, la Commission européenne a présenté sa proposition de Directive concernant la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises : la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Cette Directive introduit le futur reporting extra-financier.
Les principales nouveautés identifiées sont l’extension du champ d’application des obligations d’information, l’exigence d’une assurance sur ces informations, une normalisation plus détaillée des informations obligatoires en matière de durabilité et la centralisation de ces informations dans une section dédiée du rapport de gestion.

Cette nouvelle réglementation aura une application échelonnée selon la taille des entreprises. Sa première mise en œuvre devrait avoir lieu au 1er janvier 2024 pour les entreprises déjà soumises à la NFRD (reporting en 2025 sur les données de 2024), mais risque d’être décalée, les normes sectorielles définitives étant attendues d’ici octobre 2023.

L’EFRAG a publié ses documents de travail sur les normes ESG. Ils vont expliquer et donner les directives d’application de la CSRD. 28 normes sont prévues pour couvrir l’ensemble des exigences du futur reporting extra-financier. Ces normes sont regroupées en 5 briques :

  • Les normes agnostiques (applicables à toutes les entre- prises) ;
  • Les normes thématiques Environnement, Social et Gouvernance (ESRS E, ESRS S et ESRS G) ;
  • Les normes sur les différents types d’information à fournir (ESRS) (Stratégie, Mise en œuvre, évaluation de la performance) ;
  • Les normes explicitant les concepts appliqués (ESRG) ;
  • Les normes spécifiques à certains secteurs économiques (ESRS SEC).

La norme explicite le concept de double matérialité, signifiant un scope d’application beaucoup plus large que les reporting précédents :

  • Les impacts financiers, sur le résultat et/ou le positionnement de l’entreprise, et non financiers (par exemple sur les utilisateurs ou sur les employés) ;
  • Les impacts générés par l’activité de l’entreprise (placements financiers, produits et services vendus, etc.) et ceux générés par l’entreprise en tant qu’entité (consommation énergétique de ses locaux, actions sociales, politique sociale, etc.) ;
  • Les impacts observables à court terme dans les résultats de l’entreprise, mais aussi à moyen et long terme ;
  • Enfin, les impacts générés par l’ensemble des acteurs contribuant directement à la chaine de création de valeur de l’entreprise.

Le premier point répond aux critiques, notamment des ONG, quant à la focalisation des premiers indicateurs internationaux ESG sur les aspects financiers et en particulier sur les placements financiers.

Le dernier point mérite que l’on s’y attarde davantage. La prise en compte d’un scope large nécessite de déterminer les acteurs contribuant directement à sa chaine de création de valeur. L’entreprise devra identifier les acteurs, leurs impacts, puis les évaluer au regard de leurs conséquences sur l’entreprise, ce qui ne sera pas trivial. Enfin, il conviendra ensuite de déterminer les données de reporting disponibles et celles nécessaires, la mise en place des processus pour les collecter, les valider et les utiliser.

Cette augmentation des natures d’information demandées, combinée à l’extension du périmètre aux impacts non financiers, multiplie à la fois le volume des données mais aussi la diversité des sources, et conduit à une difficulté accrue d’obtenir une assurance de leur qualité. Or, ces informations seront revues par un Organisme Tiers Indépendant (OTI) afin d’en assurer la qualité.

En résumé, le nouveau reporting s’annonce d’une grande complexité, notamment pour les données qualitatives issues d’acteurs qui ne produisaient pas de données jusque-là, et qui n’en produiront pas pour leur propre compte.

 

L’évaluation de la double matérialité et l’enjeu data

La double matérialité est définie par l’EFRAG comme l’union de l’ensemble des critères de matérialité financière et non financière. L’ensemble des critères ayant un impact significatif sera intégré au reporting et devra être évalué de façon structurée sous trois prismes : agnostique, spécifique au secteur de l’entreprise et spécifique à l’entreprise.

  • Les deux premiers feront l’objet de normes, la troisième sera à expliciter par l’entreprise et comprendra toutes les autres informations significatives pour l’entreprise, selon l’une, l’autre ou la double matérialité ensemble.
  • Pour le troisième prisme, l’entreprise pourra publier des « non-material disclosures », c’est-à-dire une note sur les informations obligatoires selon les normes, mais qui ne s’appliquent pas du fait de la singularité de l’entreprise. Ces notes devront à nouveau être justifiées et validées.

Ainsi, cette nouvelle norme a un scope beaucoup plus large que celles en vigueur. Il convient donc de commencer rapidement l’analyse des éléments à collecter, vérifier leur accessibilité et se forger de véritables convictions sur le scope à adresser au regard des enjeux et les choix de trajectoire de l’entreprise.

Compte tenu de l’univers des données à collecter, hétérogène, vérifiée ou non et donc forcément avec une fiabilité discutable, une centralisation par le régulateur européen permettrait une meilleure sensibilisation des acteurs et une assurance sur le niveau de qualité des informations, dont certaines seront utilisées pour la définition de de trajectoire d’autres entreprises à forte dépendance de leurs tiers fournisseurs. Un projet est en cours dans ce sens mais à quel terme ? Sur quel périmètre ? Recensera-t-il des données non encore publiées ? Avec quel niveau d’assurance ces données pourront être utilisées ? Et dans quel délai ? À ce jour, rien n’est explicite.

 

Le reporting extra financier et son accessibilité court terme

À ce stade de la norme, la conviction est que si la norme est nécessaire, elle semble éloignée de l’opérationnalité nécessaire à une mise en œuvre d’ici 2024, en cohérence avec une trajectoire efficace au regard des objectifs des Accords de Paris.

Face à ces difficultés, des voix s’élèvent pour essayer de pousser l’EFRAG à séquencer l’application du reporting tant en termes de périmètre qu’en termes d’éléments prospectifs financiers.

  • La projection à moyen-long terme pourrait avoir des effets néfastes vis-à-vis de changements de trajectoire, et risquer de révéler des éléments confidentiels, de fausser la libre concurrence.
  • Le reporting doit permettre d’établir des comparaisons entre les entreprises. Or, à ce jour, rien ne permet de s’en assurer, et même tout concours à exprimer que ce ne pourra être le cas durant les premières années, eu égard à une data souvent non disponible et significativement hétérogène.

Le principal enjeu des assureurs dans les prochaines semaines et les prochains mois, sera de déterminer sur quel périmètre et selon quel calendrier le périmètre devra être abordé, loti, priorisé. Des objectifs devront être établis pour atteindre les objectifs des Accords de Paris.

À terme, le reporting de la CSRD pourra servir d’outil de suivi et de pilotage annuellement. Comme tout reporting, il sera le reflet des résultats obtenus mais contiendra aussi les ambitions qui ont permis de définir le périmètre reporté et la trajectoire suivie. Ce nouveau reporting n’aura de la valeur qu’à mesure que la politique globale ESG sera clairement établie, en cohérence avec la trajectoire des Accords de Paris, sur l’ensemble des dimensions définies par l’EFRAG, et déclinés en objectifs, trajectoires, feuilles de route et plans d’actions, embarquant l’ensemble de l’entreprise jusqu’aux tiers inclus dans le périmètre de la chaine de création de valeur.

Ainsi, aux vues du calendrier, les projets doivent être lancés sans attendre sur les contours, les convictions et les bornes du reporting. Un projet de mise en conformité ESG devra autant se munir d’une politique ambitieuse et déclinée en trajectoires que d’une mise en œuvre en cohérence, dès le départ, avec les objectifs que s’est fixée l’entreprise.