La santé, facteur de surcompensation de l’empreinte carbone du vélo ?

IAB PEV - Vélo

La santé comme forme de surcompensation de l’empreinte carbone du vélo

Il est étonnant de constater que l’empreinte carbone du vélo peut être jusqu’à 6 fois plus élevé que celle d’un train. La pratique du vélo ayant des bienfaits sur la santé, il est pertinent de déterminer l’influence de la santé sur l’empreinte carbone du vélo.

Par Pierre-Emmanuel GUILHEMSANS-VENDÉ, Consultant R&D chez TNP Consultants (1,1 t CO2e compensé grâce au vélo depuis septembre 2021)

Le train, mode de transport le moins polluant en France ?

En France, il est communément admis que le mode de transport le moins polluant est le train. Bénéficiant d’un mix énergétique électrique bas-carbone notamment grâce à l’énergie nucléaire, le train électrique va émettre sur tout son cycle de vie, s’il s’agit d’un TGV, 3,3 g CO2e.passager-1.km-1 et 15,3 g CO2e.passager-1.km-1 pour un TER électrique [1], [2]. Comparé à la voiture, qui émet 271 g CO2e.passager-1.km-1 sur tout son cycle de vie et au bus qui en émet 101 [3], le bilan environnemental est clairement en faveur du train et de son développement. Or, que ce soit pour le transport de voyageurs ou pour le fret, la France est très à la traîne par rapport à ses voisins européens. Ainsi, à titre d’exemple, la Suisse fait circuler 3 à 4 fois plus de trains par jour sur chacune de ses lignes par rapport à la France, aussi bien pour le transport de voyageurs que pour le fret (130 contre 38 en voyageur et 24 contre 7 en fret). De plus, l’Italie investit deux fois plus par habitant que la France sur ses infrastructures ferroviaires (la Suisse 9 fois). Il y a donc un véritable enjeu sur le ferroviaire en France.

Figure 1 – Comparaison des émissions de différents modes de transport sur leur cycle de vie

Le vélo, plus polluant que le train ?

Un autre mode de mobilité est également à développer en France, en lui accordant plus de voies aménagées et plus de sécurité dans l’espace public : le vélo. Ce mode de mobilité douce a fortement progressé ces 20 dernières années dans les grandes villes (+ 60 %) mais la France est également à la traîne sur le sujet, comme pour le train. Ainsi, la part modale du vélo en France est de 2,7 % alors que la moyenne européenne est de 9 % ! [4] En juin 2019, la Loi d’Orientation sur les Mobilités intègre l’objectif d’amener la part modale du vélo à 9 % en 2024 et 12 % en 2030. Cela suppose une politique très volontariste avec un investissement conséquent. Ainsi, pour arriver à 9 % de part modale, il faudrait ajouter 100 000 km d’aménagements cyclables en plus aux 45 500 km déjà existants en 2020 et investir au moins 30 € par an et par habitant (à titre de comparaison, les investissements sont de 271 €/an/hab. pour la voiture et 473 €/an/hab. pour les transports en commun) au lieu de 8,70 €/an/hab., comme en 2019. De plus, le réseau cyclable type des grandes villes françaises est dense mais très discontinu, ce qui entraîne une augmentation de l’insécurité au niveau des portions non cyclables et explique en partie la stagnation de la part modale du vélo. Pour résumer, un triplement de la part modale nécessite un triplement des dépenses et des infrastructures et un réseau cyclable maillé et continu.

Cette dépense et ce pari sur le vélo sont nécessaires car ils vont entraîner des bénéfices économiques, environnementaux et sur le bien-être et la santé des usagers. Par exemple, économiquement, le tourisme à vélo permet de rapporter 4,2 Md€ à l’Etat, sachant que ce type de touriste dépense plus que les autres touristes (68 €/jour contre 55 €/jour, en moyenne). Du point de la santé, faire 30 minutes de vélo par jour permettrait de diviser par 2 le risque d’AVC. Enfin, d’un point de vue environnemental, le vélo est un des modes de transport les plus bas carbone avec un facteur d’émission de 21 g CO2e.passager-1.km-1 (vélo mécanique) ou 22 g CO2e.passager-1.km-1 (vélo électrique) [3].

Cela semble contre-intuitif que le vélo soit un mode de transport plus polluant que le train. On peut arguer que l’amortissement se fait avec le volume important de voyageurs utilisant le train et une durée de vie importante (30 ans) sur laquelle un train parcourt de longues distances (450 000 km/an). Néanmoins, il est difficile d’appréhender que les infrastructures ferroviaires et la fabrication des trains aient un impact moindre sur l’environnement que l’utilisation d’un vélo. De plus, le vélo a incontestablement des bienfaits sur la santé [5], [6], que n’a aucun autre mode de transport (y compris le train) : la santé n’apparaît pourtant pas dans le bilan des émissions du vélo. Le présent article propose de déterminer le bilan carbone de la santé lié à la pratique du vélo.

Bilan carbone de la santé lié à la pratique du vélo

D’après le rapport d’Inddigo et de Vertigolab d’avril 2020 [4] sur le développement des usages du vélo en France, l’impact économique de la pratique du vélo correspondrait à 2 % des dépenses de la consommation de soins et biens médicaux. Si la part modale était de 9 %, cet impact serait de 6 % et dans le scénario le plus optimiste du rapport où la part modale est de 23,7 %, l’impact économique serait de 15 % des dépenses de santé ! Pour tous les scénarios, l’impact correspond à une valeur moyenne de 0,69 €/km.

Or, d’après un rapport de Health Care Without Harm et Arup de 2019 [7], la dépense de 1 M€ en santé en France génère 93,8 t CO2e. En prenant en compte la valeur d’impact économique de 0,69 €/km, cela signifie donc que la pratique du vélo permet une compensation et même une surcompensation carbone liée à la santé de 64,7 g CO2e/km pour un vélo mécanique. Ainsi, pour un vélo mécanique ou musculaire, la santé permet de compenser par un facteur 3 l’empreinte carbone de 21 g CO2e.passager-1.km-1. Pour les vélos électriques, on fait l’hypothèse que la dépense énergétique entre 4,4 kcal/km et 11 kcal/km a une relation linéaire avec le gain apporté à la santé : cette hypothèse est probablement critiquable dans le cas d’un cycliste utilisant de manière intensive son vélo électrique (> 4 000 km/an). Dans le cadre de cette hypothèse, on peut déduire que la compensation carbone de la santé pour les vélos électriques est de 25,9 g CO2e/km, soit un peu plus que l’empreinte carbone de 22 g CO2e.passager-1.km-1.

Figure 2 – Modes de déplacements en île de France & Empreinte carbone d’un non-cycliste

Le raisonnement sur la compensation carbone apportée par la pratique du vélo peut être poussée encore plus loin en se basant sur le report modal engendré. Ainsi, on se place dans les conditions les plus défavorables en termes de report modal vers le vélo, c’est-à-dire l’Île de France où la part modale des véhicules thermiques (voiture, 2 roues motorisées, VTC, taxi) est la plus faible de France au profit de la marche, du vélo, de la trottinette et des transports collectifs. Dans ce cas, l’empreinte carbone finale moyenne d’un francilien n’utilisant pas le vélo et se déplaçant peu à pied serait de 100,4 g CO2e/km (en prenant comme hypothèse, 35,8 % de part modale en véhicule thermique à 271 g CO2e/km/pers., et 21,9 % en transports en commun, à 15,3 g CO2e/km/pers.). Le passage à la pratique du vélo permettrait donc d’éviter 144,1 g CO2e/km avec un vélo mécanique (respectivement 104,3 g CO2e/km pour le vélo électrique).

Pour conclure, le développement de la pratique du vélo est une nécessité car elle permet d’augmenter l’attractivité touristique de la France, de réduire les dépenses de santé, d’améliorer le bien-être de ses usagers et le bilan carbone de ce mode de transport devient négatif si on prend en compte la surcompensation liée à la santé. Couplé avec une application de suivi et de santé, le vélo pourrait même devenir un moyen de rééducation de personnes en situation de handicap : c’est l’enjeu d’un démonstrateur développé au sein du LAAS-CNRS à Toulouse, dans le cadre d’une thèse en voie de finalisation [8] et en recherche de partenariats d’industrialisation. D’après le Pr. Georges Soto-Romero, chercheur au LAAS-CNRS, des synergies pourraient être trouvées avec des associations telles que l’ADEME, ou des entreprises qui sont positionnées sur ce créneau (VUF, eBikeLabs, MidiPile, Citix, Urbaner…), voire des fabricants de véhicules à grande échelle et des fabricants de dispositifs médicaux, comme une alliance PSA/Ihealth ou Medtronic, ou leurs sous-traitants de rang 1 (Valéo/Actia…). Pourtant, le vélo est encore peu considéré et valorisé au sein de l’entreprise. Il existe certes aujourd’hui les dispositifs de Plan de Mobilité et de Forfait Mobilité Durable (FMD) mais il faudrait pouvoir aller plus loin, en encourageant la pratique du vélo, via la création de crédits carbone santé et la remise en place du forfait kilométrique en complément du FMD, cette fois-ci sans plafond pour les trajets professionnels, et que le FMD puisse aussi bénéficier aux salariés du secteur public. Par ailleurs, il y a une réelle nécessité d’un développement massif des infrastructures et d’équipements (par exemple, 1 km de piste cyclable construite pour 1km de voie carrossable), en plus d’assurer aux usagers une sécurité d’utilisation, un confort et une autonomie (dans le cas des vélos électriques) sensiblement équivalents aux voitures actuelles.

Sources

[1]         “Site Bilans GES,” ADEME.

[2]         Sétra, “Transport et Gaz à effet de serre (GES): Analyse des outils et méthodes utilisés pour quantifier les émissions de GES dans les projets d’infrastructures selon les différents modes de transport.” Dec. 2013.

[3]         European Cyclists’ Federation (ECF), “Quantifying CO2 savings of Cycling.” 2011.

[4]         Inddigo and Vertigolab, “Impact économique et potentiel de développement des usages du vélo en France.” Apr. 2020.

[5]         E. G. Avina-Bravo, J. Cassirame, C. Escriba, P. Acco, J.-Y. Fourniols, and G. Soto-Romero, “Smart Electrically Assisted Bicycles as Health Monitoring Systems: A Review,” Sensors, vol. 22, no. 2, 2022.

[6]         P. Oja et al., “Health benefits of cycling: a systematic review,” Scandinavian Journal of Medicine & Science in Sports, vol. 21, no. 4, pp. 496–509, Aug. 2011.

[7]         Health Care Without Harm and Arup, “Health Care’s Climate Footprint: How the Health sector contributes to the global climate crisis and opportunities for action – Appendix A: Tabulated national health care emissions for the 43 WIOD countries.” 2019.

[8]         E. G. Avina-Bravo, “Conception, Développement et validation d’un système intelligent embarqué de mesure physiologique et biomécanique : vélo à assistance électrique avec IA à usage thérapeutique et de prévention santé,” LAAS-CNRS, 2023.

27 juin 2023
Pierre-Emmanuel Guilhemsans-Vendé Consultant

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