La 5ème directive de lutte anti-blanchiment permettra-t-elle vraiment plus de transparence ?

lutte anti-blanchiment

26 novembre 2018

Les attentats perpétrés ces dernières années sur le sol européen et les révélations sur les Panama Papers ont renforcé la volonté de l’exécutif européen de durcir le cadre législatif sur la lutte anti-blanchiment et contre le financement du terrorisme. Les recommandations du Groupe d’action financière (GAFI) de 2012 avaient donné lieu à une 4ème directive européenne. Alors même que son implémentation dans les établissements financiers n’est pas totalement finalisée, la Commission européenne s’est mise à travailler sur une nouvelle mouture de ce texte, prenant notamment en compte les risques émergents liés aux crypto-monnaies. Les travaux initiés en 2016 viennent d’aboutir au projet de 5ème directive, approuvé lors d’un vote à la Commission européenne en janvier et publié au JO de l’UE du 19 juin dernier.

QUELS SONT LES PRINCIPAUX CHANGEMENTS APPORTÉS PAR CE NOUVEAU TEXTE ?

  • Une clarification des mesures de vigilance renforcées : Afin d’améliorer l’efficacité des règles concernant les pays sensibles, une liste prescriptive sera publiée afin d’aider les établissements financiers. Une homogénéisation bien utile pour suivre les recommandations du GAFI à la fois sur les due-diligences à réaliser et sur la surveillance des transactions. Cette prise de position de la Commission européenne permettra d’éviter les distorsions de concurrence qui pouvaient survenir lors de la transposition d’un texte européen, où les exigences KYC différaient sensiblement d’un état membre à un autre. Le travail des équipes conformité sera simplifié, mais il restera largement soumis à l’appréciation du risque propre à chaque établissement !
  • Une surveillance des transactions en crypto-monnaies : À l’instar des banques, les plateformes d’échange en crypto-monnaies et les fournisseurs de portefeuilles électroniques devront respecter les obligations LAB-FT. Cette décision satisfera le lobby bancaire qui craignait que ces acteurs innovants ne fassent l’objet d’aucune supervision alors même que le GAFI considère que les actifs numériques comme pouvant être utilisés à des fins criminelles. Concrètement, ils devront identifier les titulaires des comptes, s’assurer de l’origine licite des fonds et s’outiller pour surveiller les transactions suspectes. Une tâche loin d’être une évidente puisqu’il n’existe à ce jour aucune solution logicielle permettant de surveiller les transactions en bitcoin. Une évolution qui risque de sonner la fin de l’attrait des crypto-monnaies, mais qui ne permettra pas forcément à Tracfin d’être plus efficace.
  • Plus de contraintes pour les cartes prépayées anonymes : L’usage de la monnaie électronique anonyme avait été restreinte dans la 4ème directive. Son usage par les terroristes lors des attaques de 2015 avait sérieusement écorné son image. Cette nouvelle mouture de la réglementation ne cherche ni plus ni moins qu’à tuer le business de la carte prépayée. Les conditions d’utilisation seront particulièrement contraintes, elles ne seront utilisables sur internet que pour des transactions inférieures à 50 euros, en commerce physique le plafond sera réduit à 150 euros. Une mesure qui tient plus de la symbolique que de l’impératif de sécurité.
  • Amélioration des échanges d’informations et de la coopération entre les centres de renseignements financiers (CRF) : Le texte prévoit que les autorités nationales comme Tracfin bénéficieront d’un accès à un registre central, mis en place au niveau européen et permettant l’identification rapide du titulaire des comptes. Une mesure qui concernera à la fois tous les comptes, mais qui ne sera pas sans conséquences pour les banques. Ces dernières devront adapter leurs processus déclaratifs pour être en conformité. A cela s’ajoute une meilleure coopération entre les CRF et les établissements financiers qui devront répondre aux requêtes des autorités sans qu’il y ait eu transmission d’une déclaration de soupçon. En fonction de la volumétrie des demandes, il conviendra de redimensionner les équipes en contact avec Tracfin et d’améliorer l’accès aux informations pour répondre dans les délais impartis.
  • Accès public aux registres des bénéficiaires effectifs : La 4ème directive établissait des obligations d’identification des bénéficiaires effectifs (BE) des entreprises et des trusts. Ce texte permettra dorénavant un accès public aux bénéficiaires effectifs des entreprises de l’Union européenne. La Commission européenne souhaite interconnecter les registres des états membres pour faciliter l’identification des bénéficiaires effectifs par les établissements financiers. C’est véritablement la mesure la plus intéressante de cette directive. En outre, l’identification des BE s’effectue à travers des chaînes actionnariales souvent complexes, elle représente la tâche la plus coûteuse de la connaissance client. Ainsi, on peut espérer que cet outil permettra aux acteurs assujettis de poursuivre leurs efforts d’automatisation des processus KYC. Pour autant, les impacts risquent d’être limités puisqu’elle ne concernera que les structures dont le siège est situé dans l’UE, ce qui exclut de facto la majorité des dossiers sensibles. Son intérêt futur dépendra aussi de la fréquence de mise à jour des données qui devrait se faire chaque année pour apporter une réelle valeur ajoutée.

QUELS SONT LES DÉLAIS POUR SE CONFORMER À CE NOUVEAU TEXTE ?

Après un passage par le Parlement européen et une publication au Journal officiel de l’UE, le 19 juin 2018, les états membres ont à présent moins de 18 mois pour transposer ce nouveau texte dans leur droit national et permettre ainsi aux acteurs concernés, principalement des banques, d’adapter leurs processus, procédures et systèmes d’information.

Julien Le Goueff
JULIEN LE GOUEFF
CONSULTANT

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