Gouverner ses données à l’heure de l’IA

Bannière fine - Histoire de demain IA 2024 (6)

Un article de David BESSOT, Directeur associé TNP, paru dans le livre blanc « Quelle entreprise à l’ère de l’IA en 2030 ? »

L’arrivée massive des algorithmes d’intelligence artificielle va bouleverser la structure même du système d’information. Elles vont surtout, dans un premier temps, confronter les entreprises à leurs pratiques patrimoniales autour de la donnée. A l’heure de l’IA, la gouvernance de la donnée se voit érigée au rang des chantiers prioritaires. La déclaration d’intention ne suffit malheureusement pas à la priorisation des chantiers. 

Nous avons pris de mauvaises habitudes dans la gestion de nos données 

La transformation digitale est en train de passer un cap. Nous pouvons même dire que le premier quart de notre siècle a été celui d’un basculement massif de notre société dans le monde numérique. Nous entrons à présent dans une nouvelle période numérique : celle qui verra la maîtrise des données comme un levier infini de performance et d’anticipation.  

Le système d’information, très fortement cloisonné par métier, va fortement évoluer. Devenue un actif industriel majeur à protéger, sécuriser et optimiser, cette usine à produire de la donnée est au centre de la performance opérationnelle. Dans les dix prochaines années, l’intelligence artificielle va irriguer l’ensemble des processus de production de l’entreprise. 

Cela aura pour conséquence, de modifier structurellement le système d’information, de passer progressivement d’une logique de verticale applicative à une logique horizontale de management de la donnée. Ce «tsunami data» prédit depuis longtemps est bien arrivé. Nous produisons trente fois plus de données aujourd’hui qu’il y a dix ans et trente fois moins que dans dix ans. La gestion des données va continuer de se complexifier, et va devenir une composante fondamentale de l’ensemble du fonctionnement des organisations. Pour autant, concentrées pour innover et se transformer, les entreprises n’ont pas pris la mesure de la nécessaire organisation pour bien gérer cet actif et le mettre au service de la performance collective. 

Les opportunités de l’IA sont à chercher au sein des directions métiers 

C’est le premier pilier de cette transformation : l’analyse de la chaîne de valeur de la donnée des métiers propose les premières pistes de développement des leviers de performance et de rupture. La donnée est un instrument d’analyse, mais ne contient pas d’intelligence en propre. Seuls les métiers savent interpréter et analyser des données dans leur contexte, selon des objectifs déterminés. Chaque direction métier doit se créer l’espace pour manipuler ses données métiers et se projeter vers de nouveaux usages, expérimenter les modèles d’algorithmes d’intelligence artificielle et mesurer leur capacité à apporter des réponses face à ses enjeux présents et futurs.  

L’introduction de l’IA dans les usages d’une organisation doit respecter un processus de montée en puissance et d’accompagnement au changement pour les collaborateurs. Dans cette perspective de gestion de projet, l’identification de cas d’usages simples, aux apports rapides et concrets constitue la première phase stratégique. La complexité de la technique combinée à sa sensibilité critique pour l’avenir de l’entreprise aboutit à une nécessité de restreindre les initiatives dans un premier temps pour ne pas se perdre dans les détails et garantir au maximum des résultats capables d’entraîner les équipes dans la nouvelle stratégie 

L’introduction de l’IA dans les usages d’une organisation doit respecter un processus d’analyse de rentabilité. Au-delà des aspects ludiques de l’IA qui assurent sa démocratisation, les modèles économiques restent à éprouver dans les contextes industriels et commerciaux, et selon les orientations stratégiques prises par chaque direction. Le poids des investissements nécessaires au développement de cette technologie prescrit une profonde maturation des projets de transformation, autant sur leurs dimensions financières que techniques. 

Enfin, l’introduction de l’IA dans les usages d’une organisation doit respecter un processus de vérification de non-régression. Les stratégies IA développées par les entreprises doivent organiser les conditions de l’utilisation des IA alimentées par des bases de données les plus neutres possibles, les algorithmes possèdent suffisamment de biais en eux-mêmes pour ne pas les accentuer par des données orientées. L’IA n’ayant d’intelligent que le nom qu’on lui attribue, les résultats de ses analyses doivent être vérifiés dans les premiers temps de sa mise en fonction par des personnes compétentes, capables d’esprit critique face à la machine. 

Offrir les conditions de l’expérimentation signifie également être capable de revenir sur le projet, quelles qu’en soient les conséquences, si les objectifs ne correspondent pas aux attentes. 

Définir une doctrine data à l’échelle de l’organisation 

L’ouverture de votre capital de donnée nécessite de définir une doctrine, ou une politique de la donnée. Elle existe partiellement dans certaines organisations, mais reste souvent cloisonnée à un domaine (données personnelles, cybersécurité.) Or l’intelligence artificielle demande une approche plus holistique de la donnée. Cet ensemble de règles de bonne conduite va couvrir un périmètre volontairement large pour cadrer l’utilisation des données au sein de l’organisation, d’une filiale ou d’un territoire géographique. 

Cette doctrine représente un pilier pour faire monter en maturité l’ensemble de l’organisation sur la question des données. Son processus d’élaboration implique une participation de toutes les strates de l’organisation, de la direction et ses objectifs stratégiques aux opérationnels et leurs contraintes quotidiennes. Ce temps de construction contient implicitement le besoin de partager une vision sur la place de la donnée dans le processus de production de l’organisation, soit d’expliciter sa valeur patrimoniale et opérationnelle. 

Si son contenu peut sembler évident pour les experts, il ne l’est pas pour les néophytes : identifier les données de références, clarifier les règles d’usage des IA ou définir des pratiques contractuelles sont autant de processus qui impliquent une forte mobilisation de l’ensemble de l’entreprise. 

Enfin, c’est aussi l’occasion d’aborder des sujets plus profonds comme la question de la territorialisation des données, des informations sensibles ou la gestion de la souveraineté numériques. L’utilisation de plateformes de donnée (Data Hub) sera un moyen complémentaire à la concrétisation de cette doctrine dans le quotidien de l’entreprise. 

Créer les conditions de la transversalité entre les acteurs de la donnée 

Si le système d’information est cloisonné, la gestion de la donnée qu’il produit ne doit plus l’être. Et cette gestion est naturellement répartie en fonction des centres de compétences de l’entreprise (juridique, informatique, sécurité, innovation, expertise métier). Pour autant, le dialogue entre tous les acteurs de la donnée (DPO, RSSI, CDO, DSI, Data-Stewart métier) représente un levier de performance inestimable.  

À l’image des travaux sur les chaînes de production industrielle ou les corps de métiers partageant leurs pratiques, l’ensemble des usages de la donnée doit être discuté entre les parties prenantes. 

À titre d’exemple, les expérimentations menées pour éduquer des algorithmes sur des patrimoines de données propriétaires montrent la complexité des situations rencontrées. Pour être appréhendées sereinement, elles nécessitent d’aligner les compétences et d’équilibrer les forces entre protection, sécurité, innovation et performance. 

Cette transversalité s’avère cruciale pour mener les projets qui attendent les entreprises : besoin croissant de tracer des données, de protéger les données de références, de maîtriser les phases d’éducation des algorithmes. Autant de chantiers structurants qui nécessiteront l’implication du top management et sa nécessaire montée en compétences. 

Un changement de paradigme 

Il s’agit d’un changement de paradigme : la réussite industrielle numérique trouvera son origine dans la capacité des organisations à accompagner les directions métiers dans de nouveaux usages et d’avoir la capacité de les mettre en œuvre en cohérence avec la stratégie. 

La donnée est telle un Pharmakon : elle peut être toxique comme porteuse d’opportunité. Il est à présent nécessaire de passer des intentions à l’organisation d’une gouvernance des données porteuse de performance collective. 

David Bessot Directeur associé